La Fin de l'Eternité
L'autre jour, j'ai publié ma chronique de La Spirale du Temps, où j'évoquais ce livre d'Isaac Asimov que j'avais lu en Janvier 1997 et que j'avais relu maintes fois depuis. Au moment où je publiais ma chronique, je me suis dit : « mais au fait... n'y a-t-il pas de l'uchronie là-dedans ? ». Il faut croire que l'idée a fait son chemin, car me voici occupé à chroniquer l'un de mes livres favoris après Dune...
Résumé :
L'invention de l'arme nucléaire au vingtième siècle n'a pas eu lieu. A la place, le mathématicien Vikkor Mallansohn a inventé le voyage temporel au vingt-quatrième siècle. Ses travaux sont à l'origine de la mise en place de l'Eternité : une organisation composée d'êtres humains venus de toutes les époques depuis le vingt-septième siècle, qui s'est donnée pour fonction de veiller sur le bien-être de l'humanité. Les Eternels établissent une section par siècle et en analysent les défauts : leurs calculs leur permettent alors de définir l'intervention minimale garantissant l'élimination du malheur humain. Les inventions dangereuses disparaissent donc de l'Histoire et ne sont plus conservées qu'à l'état de reliques dans l'Eternité. Tout va-t-il pour le mieux ? Non. Tout un pan du futur est inaccessible aux Eternels, entre le soixante-dix millième et le cent-cinquante millième siècles, sans que nul dans l'Eternité ne comprenne bien pourquoi ; et au-delà de la limite supérieure des Siècles Cachés, il n'y a plus d'êtres humains sur Terre. Par ailleurs, les Eternels, bien loin d'être des hommes de science détachés de l'univers sensible, à l'intérieur de leurs sections temporelles isolées du temps qu'ils modifient sans cesse, sont en prise à l'ambition, aux luttes de pouvoir mais surtout, isolés à jamais de leur époque d'origine, à une insidieuse et parfois mortelle dépression.
Andrew Harlan est un Technicien fasciné par l'Histoire primitive, celle d'avant le voyage temporel et l'Eternié. Il appartient à l'une des castes les plus méprisées de l'Eternité, car sa mission consiste à réaliser les interventions qui, ordonnées par les Calculateurs, changent le cours de l'Histoire humaine – et ces interventions, parfois, ont d'atroces conséquences. Technicien doué, il entre au service de Laban Twissel, le Premier Calculateur. Sa connaissance de l'Histoire primitive, et une rencontre de circonstance avec une femme du quatre-cent quatre-vingt deuxième siècle, l'amènent à prendre conscience du fait que Mallansohn n'a pu inventer le voyage temporel avec les seules mathématiques du vingt-quatrième siècle. Alors, qui est l'inventeur de l'Eternité ?
Ce livre assez court est à mon sens l'un des plus importants de l'oeuvre d'Isaac Asimov. Il constitue, en fait, une préquelle générale à toute son histoire du futur puisque, dans la conception qui est développée ici, le voyage spatial et le voyage temporel s'excluent l'un l'autre... La fin de l'Eternité permet donc, au sens propre, le déclenchement de la chaîne d'événements qui vont culminer avec l'Empire galactique et, plus tard, la Fondation. A ce titre, l'histoire qui nous est décrite dans ce roman est donc une fiction uchronique de toute l'Histoire des temps futurs d'Asimov ! Ecrit en 1955 dans un monde qui connait depuis dix ans l'arme nucléaire, quelques indices apparaissant dans le dernier tiers du roman indiquent même qu'il s'agit, au fond, d'une véritable uchronie : l'intervention permettant d'éliminer le voyage temporel et donc l'Eternité consiste, en fait, à faire en sorte que l'arme nucléaire soit en effet inventée au vingtième siècle et non au trentième...
Les thèmes explorés ici sont familiers pour certains, et beaucoup moins pour d'autres. La science par laquelle les Calculateurs découvrent comment intervenir dans les époques afin d'en éliminer les défauts me fait beaucoup penser à la psychohistoire du Cycle de Fondation. L'Eternité elle-même, n'est-elle pas en quelque sorte une Seconde Fondation qui aurait assis à tout jamais son pouvoir sur la Galaxie ? En dehors de cela, le thème du voyage temporel n'est pas sans être inhabituel chez Asimov. On le sait, l'écrivain-scientifique n'aimait guère l'irrationnel, et il se peut que les paradoxes temporels l'aient fait reculer pour qu'il ne les ait que si peu exploités... L'histoire qui nous est racontée ici nous explique toute la dangerosité du voyage temporel, mais ne recourt à aucun paradoxe pour nous en faire prendre conscience. Asimov invente en effet le concept de physio-temps : à l'intérieur de l'Eternité, les gens continuent à vieillir, et il existe donc pour eux une forme de temps même s'ils vivent hors du temps. Concept fascinant qui soulève bien des questions : quel est l'âge de l'Eternité, en "physio-années" ? Pourrait-on construire une "Eternité dans l'Eternité" ? Voilà une belle question, sur laquelle Asimov ne s'est pas penché. Nul doute qu'il en aurait tiré une très belle histoire : si les Eternels sont chargés - par leur prédécesseurs et donc, de plus d'une façon, par eux-mêmes - de veiller sur le bien-être de l'humanité, qui va veiller sur le leur ?
C'est sur une question plus fascinante encore qu'Asimov va fonder son intrigue. Il n'est pas anodin que l'Eternité porte ce nom car en effet, c'est avant tout une organisation ayant pour but sa propre perpétuation, et ses ennemis si discrets savent qu'en l'éliminant, ils disparaîtront eux-mêmes : rétablir ce qu'ils estiment être la véritable destinée de l'espèce humaine a son prix... En 1955, dans un monde en pleine guerre froide, alors que le bloc soviétique apparaît de plus en plus menaçant et où, pour l'opinion publique américaine, la suprématie nucléaire des Etats-Unis semble être l'ultime rempart contre l'Union Soviétique, la leçon d'Isaac Avimov est surprenante : le Bon Docteur ne nous dit-il pas qu'à vouloir s'épargner les "petits" maux, l'espèce humaine finira par perdre sa hardiesse et sa volonté d'atteindre les étoiles ? Et qu'il vaut mieux accepter l'éventualité de vivre des tragédies si cela peut nous grandir ?
Le titre du livre, en définitive, annonce la couleur avant même le début de l'histoire. Les Eternels, en voulant le "mieux" pour l'espèce humaine, sont les ennemis de son "bien". Une conception qu'Asimov développerait à nouveau des années plus tard, à la fin de son Cycle de Fondation, lorsque le Second Empire voulu par la Seconde Fondation se voit rejeté lors de la prise de décision de Golan Trevize. En fin de compte, une science permettant de connaître l'avenir ou de modifier le cours de l'Histoire est néfaste au long terme : l'évolution de l'espèce, pour le Bon Docteur, passe par le jeu des essais et des erreurs. Une conception optimiste dont il ne devait jamais se départir.
P.S. : Lhisbei, ça peut compter pour le Winter Time Travel puisqu'il y a de l'uchronie là-dedans ?
P.P.S. : Merci Lhisbei !
P.P.S. : Merci Lhisbei !
Commentaires
Que veux-tu dire par important (en italique) ? Y a-t-il une référence qui m'échapperait ?
Oui, c'est en effet aussi pour moi un livre qui compte, comme tu as dû t'en rendre compte à la lecture de ma chronique.
J'ai apprécié dans ce livre le regard porté sur l'évolution de l'Homme, aussi bien technologique que biologique. On atteint des thématiques de philosophie : "La guerre est-elle nécessaire?" "Le progrès technique rend-il l'homme heureux?" etc.
Comme dans fondations, l'Homme est devenu omniscient, a tout colonisé et au bout d'un moment, n'évolue plus.
Je me rappelle d'un passage où un calculateur venant du futur se compare à Andrew Harlan en lui disant que malgré les nombreuses générations qui les séparent, de minimes différences biologiques existent (il parle de son corps qui gère moins bien le cholestérol ou quelque chose dans le genre). Dans fondations il y a bien des variantes de l'espèce humaine (souvent n'existant que sur une planète) et des mutés mais l'espèce humaine telle qu'on la connaît (inchangée) actuellement reste la dominante.
Technologiquement, dans Fondation il est question d'un ralentissement voire d'un arrêt de l'innovation technique, dans La Fin de l'éternité, cette évolution est lente voire même moins aboutie, la guerre étant un catalyseur du progrès.
Je suis curieux de savoir si Asimov a cette vision dans tous ses ouvrages, je veux dire celle où l'espèce humaine domine et existe à jamais sans évolution, en un sens, sans vie.
Ce livre est peut-être bien l'un des plus importants du Bon Docteur.