L'Empereur de l'Espace
Edmond Hamilton, l'auteur de la série des Rois des Etoiles, avait un goût très sûr pour le space-opera ! J'en veux pour preuve l'existence de la série Capitaine Futur dont le personnage est beaucoup mieux connu en France sous le nom de... Capitaine Flam. Et si vous avez cliqué sur le lien précédent, le hacker de cerveau que je suis vient de vous insérer une rengaine bientôt quarantenaire dans le tête... Pour des raisons qui m'échappent, cette oeuvre de Hamilton, bien que connue en France, n'est éditée dans notre pays que depuis quelques semaines. Amateur moi-même de space-op' et de sense of wonder - ce que j'appelle volontiers la part du rêve - il m'aurait été difficile de passer à côté de ce joli morceau d'Histoire de la SF...
Résumé :
Sur Terre, les autorités font face à une crise sans précédent. Les agents terriens envoyés sur Jupiter ne reviennent pas... mis à part l'as des as qui revient changé en créature simiesque et agressive ! Pour le président, l'heure est si grave qu'il décide d'appeler à la rescousse l'homme des situations perdues : le Capitaine Futur, le fils orphelin d'un couple de scientifiques exilés sur la Lune. Elevé par un robot à la force extraordinaire, un androïde changeur de forme et le cerveau stocké dans le bocal du professeur Simon, ami de ses parents, Curtis Newton est un véritable génie scientifique encapsulé dans le corps d'un surhomme... et à l'heure du péril, c'est sans doute le seul dont la connaissance poussée du Système Solaire soit à même de résoudre la crise jovienne. Sur la planète géante aux cinquante continents recouverts de jungles impénétrables où il débarque accompagné de ses trois amis de toujours, le Capitaine Futur n'est pas long à découvrir que la crise est liée à un mal étrange, l'atavisme, qui fait régresser les êtres humains vers la bestialité. Qui est ce mystérieux "Empereur de l'Espace" qui peut à volonté se rendre immatériel et veut la perte du Capitaine Futur ? Quel est le lien entre l'épidémie d'atavisme et la révolte qui gronde chez les indigènes de Jupiter ? Pour sauver la colonie humaine, Curtis Newton devra utiliser toute l'étendue de ses talents...
L'Empereur de l'Espace est publié pour la première fois en 1940. Dans ce roman de l'ère des pulps, chaque planète du Système Solaire est habitable à un titre ou à un autre... Mars est un désert, Uranus est montagneuse, Pluton est glaciale et abrite une colonie pénitentiaire... et Jupiter, sous son atmosphère gazeuse, dissimule cinquante continents, trente océans, des jungles et des mystères archéologiques. La part du rêve, je vous le dis, tout droit venu de l'Âge d'Or, et tout juste assez teintée de cauchemar pour être agréable à lire. Les indigènes de Jupiter, héritiers marrons d'une civilisation effondrée sous l'effet de son propre ubris, ne gardent plus de leurs brillants ancêtres que le souvenir de héros disparus - et peut-être de dieux, dont le prestige ne demande qu'à être usurpé par un malfaiteur très humain. Dans le même temps, les colons terriens considèrent ces indigènes au mieux comme de bons sauvages et au pire comme une main-d'oeuvre très bon marché : le temps de l'exotisme et des foires coloniales n'était, il faut le croire, pas assez lointain pour ne pas avoir influencé l'imaginaire de Hamilton.
Mais parlons un peu du Captaine Futur ! Intelligent, fort, soutenu par trois compagnons qui lui vouent une dévotion confinant au fanatisme, considéré comme le sauveur par les populations humaines innocentes, craint et haï par les super-criminels, noble de coeur et modeste avec ça : Curtis Newton est un produit (j'ose, oui) si parfait et si invicible qu'il finit par apparaître moins humain encore que ses deux compagnons artificiels, Grag et Otho (qui porte le nom de Mala dans le dessin animé Capitaine Flam). Seule sa chevelure rousse l'éloigne un peu de l'idéal du surhomme tel que le fantasmaient les idéologues fascistes à la fin des années 1930 ; il est tentant de le rapprocher de la figure du super-héros toute jeune, à l'époque, et en particulier de Batman avec lequel il partage une histoire familiale tragique, un équipement de pointe, l'assistance efficace de serviteurs surdoués, mais aussi un véritable détachement au monde humain. Le Capitaine Futur serait-il un avatar spatial de super-héros ? Le déroulement de l'intrigue, où Curtis Newton trouve une solution à chacun des problèmes insolubles qui lui sont imposés, semble confirmer cette idée plutôt alléchante. Et pourtant, L'Empereur de l'Espace est plus qu'une simple histoire de super-héros. Dans cette exploration brusquée d'une planète Jupiter fantasmatique, on retrouve en germe bien des interrogations d'une SF plus récente : au-delà du thème des civilisations perdues voire oubliées, l'opposition entre Grag et Otho - qui ne cessent de se disputer, chacun accusant l'autre d'être moins humain que lui-même - témoigne chez Hamilton d'un questionnement plus profond qu'il y paraît quand à la nature de l'intelligence. A partir de quand l'être intelligent peut-il être considéré comme conscient ? Peut-il exister une intelligence artificielle ? Un androïde organique - humaniforme ! - capable de mimer à la perfection l'apparence de l'être humain est-il lui-même humain ? Et d'ailleurs, Otho n'est-il pas en quelque sorte un Danseur-Visage ?
L'Empereur de l'Espace ne se résume donc pas tout à fait à un pulp. Marqué par son époque et par le traitement contraint par son statut de roman d'aventures spatiales, ce premier volet d'une longue série offre en réalité bien plus qu'il ne promet : Hamilton, sans nul doute, savait ce qu'il faisait en l'écrivant, bravo !
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