La Cité de l'Orque
Ce titre a fait parler de lui ces derniers temps au sein de la communauté des blogueurs Planète-SF : il m'a été offert par son éditeur (AMI pour ne pas le citer !), me donnant ainsi l'occasion de me faire mon propre avis...
Résumé :
Le XXIIème siècle - demain ou presque... Un monde où les océans ont rongé les côtes et englouti les grandes villes. Un monde où nombre de vieux Etats se sont effondrés - à commencer par la superpuissance américaine, disloquée par les seigneurs de la guerre. Un monde où Qaanaaq, cité flottante ancrée sur un point chaud dans l'Atlantique Nord, s'apparente à un véritable succès politique puisqu'elle attire les réfugiés de la planète entière, trop heureux d'échapper à leur propre enfer pour venir s'entasser dans des habitats minuscules... Si les discrets actionnaires de Qaanaaq n'ont pas renoncé aux habitudes qu'ils ont héritées de leurs prédécesseurs au temps du Monde Englouti, les cartes sont sur le point d'être redistribuées : un pamphlet titré Ville sans plan passe de lecteur à lecteur - et une femme accompagnée d'un orque et d'un ours blanc fait son arrivée en ville... Existe-t-il encore une place pour les mythes en cette époque sinistre ? Existe-t-il un espoir pour Qaanaaq ?
La chose est connue : je n'aime pas les mondes pourrissants. Avec cette peinture d'une Terre dont les eaux polluées ont recouvert New York - ville de résidence de l'auteur Sam J. Miller ! - et où l'être humain persiste à exploiter le bois des dernières forêts, il faut bien reconnaître que c'était un bel exemple qui m'était donné à contempler... Dans les premiers moments de cette lecture, j'ai très vite perçu qu'il me serait difficile d'en tirer une réelle satisfaction - une impression que j'ai révisée un peu plus tard car très vite, j'ai détecté là-dedans beaucoup de belles idées ! La Cité de l'Orque, c'est d'abord la découverte de cette stupéfiante Cité-Etat de Qaanaaq dont le nom à la sonorité inuite masque mal sa véritable nature, celle d'une tour de Babel assistée par ordinateur : le pouvoir politique y est réduit à ses plus simples expressions, les fonctions essentielles à la communauté relevant en fait de la responsabilité de logiciels peut-être conscients d'eux-mêmes et en tout cas autonomes de leurs maîtres humains. La population humaine est connectée par l'intermédiaire d'implants à un Internet qui regorge - comme le nôtre - de rumeurs et de demi-vérités, la traduction automatique assurant l'intercompréhension et donc la coexistence plus ou moins pacifique de peuples déracinés. Si l'on vit mieux à Qaanaaq qu'en d'autres endroits de ce monde, cela n'en fait pas pour autant un paradis et encore moins un havre de paix : après avoir remodelé en profondeur l'environnement terrestre et le paysage humain, le capitalisme ne s'est pas éteint et les actionnaires occupent toujours le sommet de la pyramide alimentaire, en organisant la rareté de l'espace vital qui fait la véritable richesse d'une cité flottante. Ce monde est donc assez familier au lecteur de nos temps contemporains, et s'il ne fait pas trop frémir c'est peut-être parce que les personnages qui l'habitent ne semblent pas s'émouvoir des souvenirs atroces que la mémoire collective charrie, comme si la capacité de résilience humaine n'avait plus à être mise à l'épreuve...
Dans le bien trop riche fonds post-apocalyptique de ces dernières années, il est difficile de trouver des œuvres méritant pour de vrai la considération du lecteur exigeant : au-delà d'un portrait complaisant voire simpliste des derniers âges de l'humanité, la SF exige aussi et surtout la mise en place d'un contexte nouveau montrant qu'après l'effondrement il reste quelque chose à faire. La solution proposée par Sam J. Miller dans La Cité de l'Orque invoque la transition post-humaine. De rares individus, en ce monde futur, sont issus d'une expérience interdite et non maîtrisée ayant permis l'établissement d'un lien nanotechnologique entre l'humain et l'animal : ainsi l'orque éponyme forme-t-il une entité consciente hybride avec l'orcamancienne dont l'arrivée annonce les bouleversements qui vont faire trembler Qaanaaq. Les nanoliés survivants sont liés eux-mêmes au peuple Inuit dont ils conservent certaines des coutumes : pourchassés par des fondamentalistes religieux qui voient en eux un blasphème, ils ne sont désormais plus qu'une poignée, pas assez peut-être pour garantir leur propre survie en tant que culture organisée. Plus répandue que le lien nanotechnologique est une pathologie au nom vernaculaire énigmatique ("les failles") et dont l'agent infectieux est vénérien : si ses malades sont condamnés à plus ou moins brève échéance, elle a pour curieuse propriété de transmettre des fragments de souvenirs le long de la chaîne de contamination, évoquant un peu le concept herbertien de mémoire génétique dans le Cycle de Dune. Si les "failles" sont une sentence de mort pour ceux qui en sont atteints, il est difficile de ne pas y voir une issue pour l'espèce humaine bien mal en point dans cette histoire : au fond, comme c'était le cas dans La Fille automate - roman que l'on peut ne pas lire - l'espoir ne se trouve pas dans les habitudes mais dans les forces évolutives à l'oeuvre et les "failles" pourraient bien en être une... à moins, à la rigueur, qu'elles n'en facilitent l'expression.
Dans cet univers intéressant, ce sont en fait l'intrigue et les personnages qui viennent handicaper l'ensemble. La Cité de l'Orque est avant tout une histoire de familles ennemies et dysfonctionnelles, même si l'on ne s'en rend pas compte au premier abord, dont les membres ignorent parfois qu'ils sont apparentés. Diverses lignes de fracture viennent partager ces groupes d'alliances chevauchantes : vieux comptes non réglés venus d'un passé lointain, sentiments antagonistes, acculturation viennent séparer les personnages sans que l'on sache très bien lequel pourra in fine tirer son épingle du jeu. L'auteur a réussi à faire en sorte qu'ils ne soient ni interchangeables ni manichéens, et c'est méritoire compte-tenu du schéma usé qu'il calque sur Qaanaaq. La narration par point de vue et par ordre chronologique, si elle facilite la prise de contact avec les personnages, ne permet toutefois pas très bien de donner la pleine mesure des idées originales évoquées plus haut, alors même que l'enjeu de l'histoire n'est pas dramatisé ainsi qu'il le faudrait... Il est par conséquent difficile d'admettre la position de puissance acquise en conclusion par l'un des personnages : le lecteur n'a pas le temps de le voir venir et, de ce fait, cela ne fonctionne pas. Au moins la fin de ce livre est-elle ouverte : l'auteur ne laisse pas entendre si Qaanaaq changera ou non, et il prend soin de laisser plusieurs de ses personnages marqués par de nouveaux coups du destin... mais les clés d'une évolution future de l'espèce humaine sont présentes et certaines portes ont déjà été ouvertes.
L'impression mitigée que j'éprouve suite à cette lecture m'est en fait assez inhabituelle : j'ai tendance à penser que les grandes idées font les grands livres. Le tort de La Cité de l'Orque est de m'avoir montré que ce n'est pas toujours le cas...
Ne manquez pas les avis de : Lune, Le chien critique, Yogo, Gromovar, Nicolas Winter...
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