La Pluie du Siècle - Alastair Reynolds

J'ai lu ce roman pour le compte de la revue Bifrost. Il est signé Alastair Reynolds. Un an après en avoir proposé ici le seul résumé, voici le retour de la chronique sur mon blog... 
Résumé : 
An 2300. La Terre est devenue inhabitable suite à un cataclysme, et les derniers êtres humains réfugiés dans l’espace ont été frappés par de nouvelles calamités – la moindre n’étant pas la guerre froide entre les factions Slashers qui désirent persister dans l’usage des biotechnologies nanométriques… et les Threshers qui refusent d’oublier ce que les machines intelligentes ont fait à la Terre. Auger est archéologue, et son terrain de fouilles se trouve à Paris, où elle recherche les précieuses archives de la vie quotidienne grâce auxquelles il est possible de reconstituer en partie le souvenir du passé. Accablée d’un procès pour négligence criminelle au cours d’une campagne de fouilles, elle reçoit une offre de blanchiment qui émane des services spéciaux Threshers : le genre d’offre que l’on ne peut refuser, malgré son caractère aussi dangereux qu’énigmatique. Une offre qui va impliquer un voyage vers un passé qui n’a pas été, celui des années 50 d’un XXème siècle n’ayant pas connu la Seconde Guerre Mondiale. Comment cette version alternative de la Terre peut-elle exister ailleurs dans l’Univers ? Et ses habitants si humains en apparence, ne sont-ils que des copies de leurs originaux… ou bien disposent-ils leur propre individualité ?
Uchronie ou space-opera ? De toute évidence, Alastair Reynolds avait envie de parler autant d’un Paris des années 50 qui n’a jamais existé que d’un démentiel et incompréhensible projet d’ingénierie extraterrestre : il a donc fait les deux, et engendré un roman hybride auquel on peut coller chacune des deux étiquettes sus-citées voire lui en adjoindre quelques-unes de plus, tout en lui assignant un titre énigmatique.

Force est de constater à la lecture que les deux dimensions de La pluie du siècle se répondent avec une efficacité certaine. D’un côté le réalisme poétique de l’intrigue uchro-parisienne, à l’ambiance interlope, où il est question d’une enquête menée par un détective privé américain nommé Floyd ; et de l’autre une énigme extraterrestre, sous la forme d’objets massifs reliés par un réseau de trous de ver… à l’intérieur desquels se trouvent peut-être des versions alternatives de la Terre. D’une part l’illusion d’une vie normale – les habitants de la Terre où vit Floyd n’ont pas conscience d’être encapsulés dans une sphère artificielle… et encore moins d’être des copies ayant divergé de leurs originaux morts depuis des siècles ; d’autre part la vie normale que peuvent mener des êtres humains du XXIVème siècle dans la mesure où la vraie Terre est devenue hostile suite à un désastre nanotechnologique.

Auger, archéologue reconnue pour sa connaissance du Paris pré-cataclysme, va servir de trait d’union entre ces deux pans de l’intrigue : il se trouve qu’au moins une faction humaine a découvert une façon de s’introduire à l’intérieur de la copie altérée où vit Floyd… et qu’une série d’événements préoccupants va nécessiter d’envoyer la scientifique de l’autre côté du trou de ver. Une enquête digne d’un roman « noir » à laquelle répond un conflit interstellaire promettant de redéfinir une bonne fois pour toutes le rapport de l’être humain à sa mémoire collective, il fallait y penser mais aussi l’oser : La pluie du siècle devra donc s’entendre comme un excellent témoin de l’ambition littéraire de son auteur. Le reste, ce sont des thèmes et des arguments typiques de chaque genre abordé ici : citation historique (on croisera dans ce Paris alternatif un certain dictateur allemand captif et réduit à la décrépitude) ; conflictualité entre factions humaines ou post-humaines ; truculence et niveaux de gris des protagonistes de l’enquête ; enjeux globaux plus vastes que la somme des intérêts individuels. A ce schéma l’auteur n’oublie pas d’ajouter quelques idées originales, en forme de fausses pistes qui ne le sont pas toujours, à commencer par l’existence d’un virus rendant une bonne partie des êtres humains du XXIVème siècle (dont Auger) insensibles à la musique – alors que Floyd est avant tout un musicien de jazz.

Nul ne contestera la saveur des ingrédients rassemblés pour construire La pluie du siècle : comme il nous le signale dans sa postface, l’auteur a pris soin de se baser sur une documentation aussi pluridisciplinaire que possible – ce qui se sent d’ailleurs à la lecture – et leur intégration est aussi minutieuse que voulu. L’association hybride avait toutefois ses risques intrinsèques, et La pluie du siècle ne parvient pas à échapper  à certains d’entre eux – ou ne le veut pas. Le premier bien sûr n’est autre que la nécessité d’un temps d’exposition doublé, qu’une astucieuse alternance des points de vue entre Floyd et Auger ne parvient pas tout à fait à limiter : le texte en ressort donc lent à démarrer. Le second sera lié à la nécessité de faire coopérer l’archéologue et le détective pour tirer toute l’affaire au clair : la convergence cosmique entre eux se double peu à peu d’une attirance bizarroïde sans réelle justification interne, et se conclut de la façon que le lecteur studieux aura deviné compte-tenu des concepts sur lesquels repose le livre.

Non létaux, ces défauts ne remettent pas en question l’intérêt de l’œuvre à tous points de vue : La pluie du siècle est un bon Reynolds, et un bon roman de SF.

Commentaires

Le Maki a dit…
Je ne me souviens pas du tout de ce livre, excepté que j'avais bien aimé (comme tous ce que j'ai lu de l'auteur. ;-))
Anudar a dit…
Ce qui est intéressant avec Reynolds, c'est sa capacité à faire à chaque fois quelque chose de très différent.