Zona Cero - Gilberto Villarroel

Ce titre est le quatrième de la shortlist 2024 du Prix des Blogueurs Planète-SF, et c'était aussi le seul - une fois n'est pas coutume - qu'il me fallait rattraper. C'est à présent chose faite.
Résumé :
Gabriel se trouve sur une plage chilienne lorsque deux événements redéfinissent sa vie en profondeur. Le premier, c'est quand sa compagne Sabine lui annonce par téléphone - alors que leur relation est tendue - qu'elle est enceinte. Le deuxième, c'est quand un puissant tremblement de terre frappe la capitale Santiago : une crypte mystérieuse est mise au jour, et sous les caméras un homme piégé depuis des siècles en sort et déclenche aussitôt une épouvantable épidémie. Pour Gabriel, aller sauver Sabine piégée dans une orgueilleuse tour de bureaux s'impose comme une évidence... mais comment faire alors qu'une troupe de soldats américains vient boucler Santiago pour éviter toute contagion ? La présence au camp avancé d'une vieille connaissance va permettre à Gabriel de s'introduire dans la capitale pour une dangereuse mission de sauvetage...
Quelle est la différence entre un prédateur et un parasite ? Le premier va chercher à tuer sa proie tandis que le second aura plutôt tendance à épargner son hôte... mais dans les deux cas, la relation écologique entre les deux partenaires sera positive pour l'un et négative pour l'autre : on parle de relation d'exploitation, la distinction étant d'ordre temporel du point de vue du partenaire exploité. Alors, le vampire est-il un prédateur ou un parasite ? Adrien Party serait sans doute beaucoup mieux placé que moi pour apporter une réponse définitive à cette question saignante... ceci étant dit, et d'après ma mince connaissance du répertoire vampirique, cette figure littéraire peut s'apparenter aussi bien à l'un qu'à l'autre selon ses besoins physiologiques - voire même, ses désirs - du moment.

Dans Zona Cero, le vampire est qualifié de prédateur et il en possède en effet bien des attributs : l'individu infecté mais non tué par un vampire le devient à son tour, au prix d'une transformation physique et physiologique. Se développent chez lui des adaptations propices à la capture (des griffes, que la couverture choisit comme illustration) et à la consommation des proies (des crocs qui poussent sur plusieurs rangées), mais aussi une force surhumaine... et une intolérance très marquée à la lumière du Soleil. Devenu vampire, l'individu perd son identité mais il reste capable de raisonnements simples (afin de mieux tromper ses proies, au préalable d'une capture) ou même parfois plus complexes... et peut aussi communiquer avec ses pairs, voire agir en meute. Ses vulnérabilités ? Outre le Soleil, il est intolérant à l'eau bénite... et l'Eglise catholique, unique pourvoyeuse du précieux liquide, est le fer de lance (ou le pieu !) de la lutte contre les épidémies vampiriques.

On le voit, rien de nouveau sous le Soleil (!) des concepts appliqués à ce genre dont - je l'avoue encore une fois - je ne suis pas familier... genre dont j'aurais même tendance à être volontiers critique (à croire que je ne me suis toujours pas remis de la vague bit-lit vieille de quinze ans). L'auteur de Zona Cero n'écrit cependant pas une histoire de vampires pour le (seul) plaisir d'en manipuler : si ce n'était pas clair à la lecture, une postface vient expliciter l'argument de ce court roman... Le vampire, figure de prédateur, est une allégorie choisie par l'auteur pour critiquer ceux que l'on appelle volontiers les "1%" de nos jours : en d'autres termes, les réels bénéficiaires du consensus capitaliste. Le trait est appuyé dans ce roman que l'on sent écrit d'une traite ou pas loin (ce que la postface confirme presque au passage) : les milliardaires et leurs amis (ecclésiastiques, militaires et politiciens d'un certain bord) ne valent guère mieux dans Zona Cero que les vampires qui leur inspirent pourtant le même effroi qu'au vulgum pecus... parce qu'eux, les riches, ont le bon goût de n'être "que" des parasites - alors que du point de vue des prédateurs, les parasites comme leurs hôtes ne sont que des proies.

Sans cette dimension que le texte martèle avec une certaine finesse mais sans trop de discrétion, Zona Cero ne serait rien d'autre qu'un tunnel de bruit et de fureur qu'une adaptation en téléfilm aurait le bon goût de raccourcir à moins de deux heures de temps de cerveau disponible, pauses publicitaires et toilettes comprises. Par chance, Zona Cero est un peu plus que ça, et on pardonnera donc à son auteur d'avoir sorti Vlad Tepes de sa naphtaline - pardon, de sa crypte... - pour l'envoyer léviter dans les cieux de Santiago : quitte à écrire un roman à thèse, autant le faire en s'éclatant... et quitte à en lire un, autant le faire en rigolant aux moments pensés à cet effet.

Commentaires

Christian a dit…
Une dystopie pour dénoncer la classe politique chilienne et l’Église entre autres on dirait. Ça reste d’actualité dans ce pays.
Peut être qu’on peut la lire aussi comme une histoire de vampires.

Je vais m’y intéresser.
Anudar a dit…
Tu me diras ce que tu en as pensé !
Christian a dit…
Volontiers.Bon été et bonnes vacances à toi.