Sur le chantier de Notre-Dame de Paris

Le voyage temporel est l'un des thèmes majeurs de la SF en particulier à travers l'exploitation littéraire du paradoxe temporel, lequel est une conséquence immédiate de l'existence du voyage dans le temps : s'il est possible de revenir en arrière, cela signifie qu'il est possible de s'empêcher soi-même de revenir en arrière... avec des conséquences inconnues. C'est pourquoi les auteurs de SF choisissant d'exploiter ce thème adoptent en général un seul des deux parti-pris suivants :
  • Le voyage temporel est contrôlé par un groupe chargé d'empêcher la survenue de paradoxes temporels. C'est le cas de la Patrouille du temps de Poul Anderson (qu'il faudra que je lise un jour).
  • Le voyage temporel est au contraire contrôlé par un groupe ayant un but "supérieur" l'autorisant à en recourir au paradoxe temporel. C'est le cas en BD de la série des Valérian où l'intervention de Galaxity, la Terre du futur, sur la trame temporelle de 1986 lui permet d'assurer sa propre instauration.
Il existe bien entendu d'autres parti-pris, comme par exemple celui d'Isaac Asimov dans La Fin de l'Eternité, où les Eternels vivent "hors du temps" et interviennent sur l'Histoire humaine pour minimiser la souffrance de l'espèce. La série de BD Voyageur adopte encore un autre parti-pris... celui de confronter les deux premiers majeurs.

Imaginez que dans un futur proche et terrifiant, l'espèce humaine soit coincée sur une Terre en voie d'épuisement écologique. Imaginez que le capitalisme soit devenu assez puissant pour qu'un dirigeant de multinationale, Marcowicz, puisse acheter la ville de Paris à une France en faillite pour qu'il puisse mieux y conduire ses recherches scientifiques. Imaginez que les produits de ces expériences, des adolescents mystérieux nommés Fish et Lou, parviennent à s'échapper de ses laboratoires. Imaginez qu'ils soient aidés, dans leur fuite, par un étrange et redoutable personnage, Vedder, alias le Voyageur, qui semble partager avec eux une troublante connexion, à travers en particulier sa faculté à se déplacer par téléportation spatio-temporelle. Imaginez que les deux jeunes protagonistes deviennent l'emblème de la résistance contre Marcowicz. Imaginez qu'ils soient projetés dans leur propre passé, capables de réaliser le choix terrible d'empêcher l'avenir terrifiant d'où ils proviennent...

Ou bien au contraire, de le laisser s'accomplir.

Vous tenez entre les mains la trame de la série Voyageur, une bande-dessinée de SF d'une grande envergure, car pas moins de treize albums sont prévus, divisés en trois cycles de quatre albums chacun (Futur, Présent et Passé) suivis d'un album hors-cycles (Oméga). Les cycles Futur et Présent sont à présent achevés. Les auteurs (un scénariste appuyé de plusieurs dessinateurs) ont maintenant commencé le troisième et dernier cycle, Passé, relatant les pérégrinations de Fish et Lou dans notre propre passé. Ici, la nouvelle confrontation des deux frères ennemis se produit en 1166, dans le chantier de construction de Notre-Dame de Paris. L'un des deux est à présent bien installé dans son rôle de Vedder, le Voyageur dont les traces apparaissent tout au long de l'Histoire. L'un des deux, déterminé à épargner un futur de ruine à l'Humanité, va chercher à nouveau à éliminer son adversaire. L'autre aura fort à faire pour veiller à ce que le Destin s'accomplisse - car les pouvoirs de son frère, ainsi que sa folie, ne cessent de croître...

Le premier tome du cycle Passé tient ses promesses du point de vue du graphisme, même si certains choix - qui a eu l'idée de ce masque de patchwork pour le personnage du Roi-Masque ? - sont plutôt surprenants. La narration, en revanche, est décevante compte-tenu des deux cycles précédents. L'enjeu de cet album semble n'avoir été que de donner à voir l'installation de la fameuse statue de Vedder à Notre-Dame - et d'indiquer que, dans la suite des événements, Vedder va devoir visiter les années 1940 pour figurer sur l'une des photos découvertes pendant le cycle Présent. C'est très dommage et cela donne à craindre que la série ne sombre dans le procédé...

Il existe néanmoins un certain nombre de fils historiques à nouer. En particulier, des mystères entrevus dans le cycle Futur ne sont toujours pas résolus. Il est donc permis d'espérer que cet album n'ait qu'une fonction de "mise en bouche" - avant de passer aux choses sérieuses. La suite est attendue.

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