Fournaise
On lit parfois des romans inclassables, desquels on sort perplexe. Je ne connaissais pas James Patrick Kelly avant ce livre, mais le résumé de la quatrième de couverture m'avait conduit à penser qu'il s'agissait ici d'un planet-opera, genre de SF que je pratique volontiers même si je préfère tout de même le space-opera. En fin de compte, l'histoire qui nous est racontée ici se trouve un peu à la frontière entre les deux genres. Voilà qui justifie a priori l'expression "roman inclassable" dès lors que l'on parle de Fournaise, même si en fait elle peut être justifiée par d'autres éléments...
Résumé :
La planète Walden est la seule des Mille Mondes d'où les machines intelligentes (les bots) et les cyborgs (les êtres humains augmentés) soient bannis. L'Etat Transcendant exerce son influence sur les citoyens de Walden à travers un culte religieux et des traditions caractéristiques d'une société pastorale. Néanmoins, Walden appartenait auparavant à d'autres colons, les Pukpuks, voués quant à eux à la haute technologie, et qui ont ravagé l'écosystème planétaire. Cela fait deux générations que l'Etat Transcendant a pris pied, mais pourtant, tous les Pukpuks n'ont pas quitté Walden. Ils s'opposent à la transformation écologique accélérée décrétée par les nouveaux occupants, et s'acharnent à détruire par le feu les forêts OGM à croissance accélérée avec lesquelles le gouvernement veut recouvrir les continents.
Spur est un combattant du feu. Avec l'Escadron Or, il tente de limiter les dégâts réalisés par les terroristes Pukpuks. Mais un jour, l'un d'entre eux s'avère n'être autre que son beau-frère. Blessé par le feu et atteint par sa découverte, Spur est envoyé dans un hôpital tenu par "ceux d'en haut", c'est-à-dire, des êtres humains augmentés venus d'autres planètes. Libre d'utiliser de la haute technologie pendant son hospitalisation, Spur entre en contact avec un mystérieux garçon, le Haut Grégoire de Kenning, qui se trouve sur une autre planète, et qui révèle une étrange agitation lorsqu'il apprend qu'une guerre civile se déroule sur Walden. Pourquoi le conflit semble-t-il fasciner le Haut Grégoire ? Que veut-il dire lorsqu'il prétend "faire de la chance" ? Et qu'est-ce que ce L'ung dont il se réclame ? Il se pourrait bien que les expérimentations technologiques coupables de Spur aient d'effrayantes conséquences. Pour lui, pour les siens, et qui sait, peut-être pour Walden toute entière...
Fournaise est un roman très court (deux cents pages) qu'il est pourtant très difficile de laisser de côté. L'intrigue ne laisse aucun repos. Dans ce temps fictionnel fort mince, l'auteur réussit le tour de force d'esquisser un univers d'une rare complexité, dans lequel Walden est un monde atypique. Pourtant, le choix de présenter l'intrigue du point de vue de Spur est très judicieux, car il renforce l'impression d'étrangeté que les personnages tels que le Haut Grégoire et surtout Memsen semblent exhaler. Sont-ils humains ? Sont-ils bienveillants ? Ou bien sont-ils étrangers ainsi qu'indifférents ? Les dernières pages du livre donneront quelques clés de compréhension sans toutefois tout dévoiler, laissant une part à l'imagination du lecteur... ou peut-être, ménageant une issue pour une éventuelle suite.
La confrontation entre deux cultures très différentes donne matière à plusieurs quiproquos dont certains se révèlent cocasses. On est assez vite contaminé par la bonne humeur qui émane de l'activité du L'ung. Même si cette bonne humeur est parfois presque inquiétante. Du choc des cultures sortira un grand désarroi pour Spur et à ce titre, la dernière phrase du livre est une vraie trouvaille. Fournaise est un grand livre, dont on sort perplexe mais emballé : ce n'est pas pour rien qu'il a été récompensé du Nebula. Bravo à son auteur, dont je suivrai désormais le nom.
Commentaires
Le livre est rempli d'épigraphes qui semblent être tirés d'un livre intitulé Walden.
La quatrième de couverture évoque un lien entre l'idéologie politique de cette planète et la philosophie de Thoreau. En dehors de ça, je ne peux hélas rien te dire de mieux...
C'est compliqué à décrire selon une grille de lecture française et le mot réac (ultracisme catho) n'est peut-être pas le bon. Beaucoup de gens "progressistes" se réclament d'ailleurs de sa pensée libertaire et pré-écologiste.
On en revient au débat de l'autre jour sur les différentes racines de l'écologie ... Si Heinlein, Niven ou Anderson sont souvent étiquettés bien à droite, on sent bien que ça n'a pas trop de sens pour la philosophie complexe d'Herbert ou Vance ...