Le créateur chimérique

Dans la série "comment et pourquoi choisit-on le livre que l'on va lire ?", voici un cas particulier : celui du bandeau rouge. Certains livres reçoivent des prix et les éditeurs les "habillent" alors d'un bandeau (rouge en général) indiquant le prix reçu. De la sorte, le lecteur-en-devenir, lorsqu'il est en situation de récolte, a l'oeil attiré par le bandeau et aura tendance à prendre le livre en mains, ce qui est, somme toute, la première étape vers la lecture - et donc, vers l'achat. C'est une méthode commerciale qui vaut ce qu'elle vaut puisqu'elle est capable de tromper y compris des lecteurs aguerris, parmi lesquels j'ai l'orgueil de me compter. Lorsque j'ai vu Le créateur chimérique en librairie, mon oeil a été attiré par le bandeau rouge proclamant "Grand prix de l'imaginaire 1989" puis par le titre assez original. Je suis allé lire le résumé à l'arrière du livre, qui a fini de me convaincre. Puis, après quelques mois de macération dans ma pile de livres, j'ai enfin trouvé l'occasion de me pencher dessus.

Résumé :
Des millénaires plus tôt, les êtres humains ont subi la Transformation et sont devenus des Ouqdars : des êtres anthropomorphes, recouverts d'écailles, tous noirs, à la fois mâles et femelles, se reproduisant par scissiparité (la Sci). Chaque Ouqdar produit ainsi, une seule fois dans son existence, un double identique à lui-même. Selon le mythe, la déesse Khimer a voulu la Transformation pour sauver ce qui restait de la Terre de l'être humain et de ses dieux. Ainsi, les Ouqdars vivent-ils sur une grande île nommée Farkis, et la plupart d'entre eux sont maintenus dans l'ignorance de l'histoire ancienne. Les prêtres de Khimer, qui rendent les oracles de la déesse, exercent un pouvoir presque sans partage sur les cités de Farkis. Quant à ceux qui ne peuvent pas vivre selon les règles immémoriales, ils peuvent encore trouver refuge dans les anti-mondes, des communautés hors des cités où les Pythiens vouent un culte au Basilic, le dieu du chaos.

La société des Ouqdars a réussi à éliminer la plupart des sentiments néfastes qui ont mené l'être humain à sa perte. L'ambition personnelle n'a pas disparu mais la rigueur des lois garantit que chacun attende bien son tour. Mais tout est remis en question le jour où Damballah, un jeune Ouqdar prêt à connaître la Sci, s'apprête à donner la vie à un double albinos. Les prêtres de Khimer veulent dans un premier temps faire d'Ayuda, son double, un symbole et l'instrument de la prééminence de leur cité sur les trois autres. Toutefois, l'attachement de Damballah pour Ayuda (qui lui est retirée trop tôt à son goût) et les ambitions démesurées de celle-ci remettent tout en question. Ils devront fuir vers l'anti-monde le plus proche. Mais cela suffira-t-il à sauver la lignée de Damballah ? Et pourquoi certains disent que Khimer possède une existence réelle en dehors des mythes ?

Le livre est décomposé en un certain nombre de passages montrant peu à peu l'évolution de Damballah depuis le statut d'adolescent rebelle jusqu'à celui d'anarchiste accompli, au fur et à mesure que le sort semble s'acharner sur lui et sa lignée. Une véritable épopée au fil des ans, à travers tout Farkis, où Damballah va tenter de comprendre et de trouver un moyen de résister aux lois rétrogrades qui l'oppriment. Le chemin le conduira beaucoup plus loin qu'il ne l'aurait cru, jusqu'aux secrets qui ont présidé à l'origine des Ouqdars. Le canevas est plutôt intéressant et le personnage d'Helios n'est pas sans rappeler un Leto II dans L'Empereur-Dieu de Dune. Mais que le récit est long pour en arriver aux révélations finales. Et quel manque d'indices qui pourraient conduire à construire ses propres hypothèses... En définitive, les explications du dernier passage apparaissent presque trop rapides, et on se perd dans les noms des différents démiurges impliqués. Le livre laisse donc une véritable impression de fouillis très dommageable compte-tenu de la richesse de l'univers construit là... Et ce n'est pas la fin en forme de pseudo-ouverture (quel va être le choix de Damballah : laisser les Ouqdars être des Ouqdars ou bien leur permettre de redevenir des êtres humains et leur rendre la Terre guérie ?) qui permet d'oublier cette impression, puisque la question reste ouverte. A moins que le poème proposé en conclusion apporte quelque indication sibylline m'ayant échappé, bien entendu.

L'histoire ne manque donc pas d'intérêt, mais ce livre est tout de même décevant. Il est clair qu'il y a une imagination fertile à l'oeuvre dans Le créateur chimérique, mais elle ne me semble pas si bien maîtrisée... Il m'a tout de même fallu plus d'une semaine pour livre ce livre alors qu'il n'est pas si long. Preuve s'il en faut qu'il ne m'a pas emballé.

Commentaires

El Jc a dit…
Dommage, certains postulats sont intéressants, mais ton expérience personnelle va me pousser à passer mon tour.
Anudar a dit…
Je n'ai pas écrit ça pour que les gens passent leur tour :p ...

Je n'ai pas osé l'écrire dans ma critique, mais je ne comprends pas pourquoi ce livre a eu un prix. Sans doute répondait-il à des exigences contemporaines qui m'échappent maintenant.
Efelle a dit…
Le résumé me rappelle une des nouvelles du recueil La Créode.
Anudar a dit…
C'est un terme qui apparaît dans l'histoire... Peux-tu m'en dire plus sur cette nouvelle ?
Efelle a dit…
Ah oui, après vérification il me semble que j'ai lu la nouvelle qui a donné naissance au roman.

La Créode
Les Ouqdar ont mutés, ils se reproduisent par parthénogenèse et contrôlent strictement leur population. Quand vient pour Damballah, le moment de se scinder, il se révolte. Pourquoi abandonnerait-il une part de lui-même ?

http://efelle.canalblog.com/archives/2010/05/05/17799919.html
Anudar a dit…
D'accord ! Il s'agirait en fait d'une nouvelle augmentée. Ou d'une série de nouvelles. Ce qui expliquerait pas mal de choses.
Quitte à réutiliser du matériel, autant le réécrire....