Yoko Tsuno tome 11
Suite et fin de ma relecture de ce "cycle" central dans la série Yoko Tsuno. Après La Fille du Vent et La Lumière d'Ixo, La Spirale du Temps vient conclure d'une façon magistrale une trilogie d'albums où l'héroïne "passe à l'âge de la maturité"...
Résumé :
Yoko, en compagnie de ses deux amis du "trio de l'étrange", est en Indonésie, chez son cousin Izumi, japonais installé à Bornéo depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, pour réaliser une série de photos infrarouge de sa plantation. Un travail qui permet à Yoko de prendre du bon temps et de retrouver des souvenirs d'enfance avec l'un des éléphants de son cousin... Mais un soir, alors que Yoko se promène dans les ruines d'un vieux temple, elle se trouve par hasard spectatrice d'un étrange phénomène. Un homme qui monte de curieuses antennes, au-dessus desquelles, à partir du néant, se matérialise un engin dans une spirale lumineuse... Yoko n'est pas longue à découvrir qu'il s'agit d'une machine à voyager dans le temps ! Le "translateur", inventé au XXXIXème siècle, transporte la dernière terrienne en vie : Monya, une adolescente de quatorze ans, provient en effet d'une époque où la bombe à contraction, une arme utilisant l'antimatière, a ravagé notre planète. Son père, l'inventeur du translateur, lui a confié avant de mourir la mission d'utiliser son invention pour rallier le XXème siècle, pour empêcher le physicien Sam Webbs de rendre possible l'invention de la bombe à contraction... quitte à l'éliminer. Afin d'en avoir le coeur net, Yoko et ses amis prennent la décision d'accompagner Monya jusqu'au laboratoire de Webbs... Ce qu'ils ne savent pas encore, c'est que le père du cousin Izumi s'est trouvé jadis, pendant la seconde guerre mondiale, sur les lieux que ce laboratoire occupe à présent. Webbs est-il le premier qui ait travaillé sur l'antimatière dans la montagne du Dragon ? Et pourquoi l'oncle de Yoko avait-il muré le passage permettant d'accéder à ce que Webbs appelle-t-il un "convertisseur d'énergie" ?
Avec La Spirale du Temps, on tient une fois de plus un très grand Yoko Tsuno. Trois intrigues bien différentes convergent en une seule : celle de Monya, la dernière terrienne en vie, celle des inquiétants travaux de Webbs et celle de la piste familiale explorée jusque dans le passé par Yoko. Futur(s), présent et passé : le titre de l'album est fort bien mérité. L'ensemble du scénario fait preuve d'une rare maîtrise et Roger Leloup se permet même, à certains moments, le recours à l'ellipse, comme par exemple lorsque Yoko quitte son oncle Toshio tout en essayant de l'avertir quant à son destin funeste. L'importance de l'enjeu, à savoir, interdire la découverte de la bombe à contraction, et la façon d'y parvenir, c'est-à-dire, l'élimination de la créature qui vit nichée dans la montagne du Dragon, apparaissent presque secondaires dans cet album à tel point le sujet réel est encore une réflexion sur la nature et l'(ir)réversibilité du temps. Yoko se bat, au sens propre, contre le temps. Pour sauver la Terre du XXXIXème siècle, peu importe que l'oncle de Yoko soit sauvé ou non ; mais si Yoko le sauve, quelles conséquences aurait son sauvetage sur la rencontre future avec Monya ? Ainsi, Roger Leloup évoque-t-il presque le concept de "physio-temps" développé par Isaac Asimov dans La Fin de l'Eternité, cette préquelle indispensable à toute son oeuvre. Si la vie de Yoko pourra continuer sans trop de changements, comme si rien ne s'était passé, il n'en sera pas de même pour Monya, en revanche. La bombe à contraction ne sera jamais inventée, la Terre ne sera donc pas détruite au XXXIXème siècle : Monya est donc un fossile d'une époque qui n'existera jamais, sauf dans ses souvenirs. La SF à l'oeuvre dans cet album est d'une puissance remarquable : c'est rare dans une oeuvre aussi accessible au jeune public.
Dans La Fille du Vent, Yoko affrontait les ombres du passé militariste du Japon, et la main beaucoup plus tangible de l'ambition démesurée des politiciens contemporains. La leçon, coûteuse, devait lui permettre de faire face aux fanatiques de la société mystique découverte dans La Lumière d'Ixo : l'ennemi, une fois de plus, était le goût du pouvoir, dont le ressort n'était plus financier mais bel et bien religieux. L'ennemi, dans La Spirale du Temps, permet de compléter une trinité néfaste, même s'il est plus difficile à identifier à première vue. Est-ce la créature consommatrice d'antimatière ? Non : celle-ci ne fait rien d'autre que s'alimenter, en expliquant aux êtres humains comment lui préparer sa nourriture ; ses réflexes défensifs ne sont, au fond, que de simples réflexes, toute créature consciente ou non étant susceptible de veiller sur sa propre perpétuation. Stanford, l'autre homme venu du futur ? Non : il disparaît à peine apparu. Les Japonais de 1943 qui, les premiers (peut-être ?) ont réveillé la créature ? Non : l'oncle de Yoko redoute les découvertes qui sont sur le point d'être réalisées dans la montagne du Dragon. L'ennemi, en fin de compte, c'est l'homme dont Yoko trouve difficile de croire, en le voyant, qu'il sera responsable de la disparition de l'espèce humaine. Sam Webbs, sous ses dehors affables, dissimule une ambition dévorante, celle de la suprématie scientifique. Ses projets de modification de la nature par la science ne sont pas sans faire frémir. Quant à son comportement, peu avant sa mort, il se passe de commentaires. Webbs décide en effet d'éliminer la créature tout en conservant le savoir qu'elle lui a offert, au motif qu'après Dieu, il est le seul à pouvoir décider en son laboratoire.
Après La Fille du Vent dont Yoko ne sortait pas sans être meurtrie, après La Lumière d'Ixo très sombre voire même sinistre pour certains, La Spirale du Temps apparaît comme un retour à la légèreté habituelle de la série. Pourtant, les thèmes de cet album sont au fond les mêmes que ceux des deux autres, et il n'est pas anodin que ce soit ici la deuxième fois que Yoko est confrontée au passé du Japon. C'est à ce titre que je crois percevoir, dans cette série de trois albums, un véritable cycle de la maturité pour Yoko. Cycle dont La Spirale de Temps constituerait une magistrale conclusion.
Lire aussi la chronique de Efelle.
Lire aussi la chronique de Efelle.
Commentaires
Gamin, j'étais fasciné par le concept d'une humanité ayant disparue, à part le personnage de Monya et son père, et par la créature au sein de la montage, effectivement presque annexe dans l'album, et pour laquelle aucun détail ou contexte n'est donné (et l'album se suffit pourtant très bien ainsi).
Au final je trouve toujours que c'est un album particulièrement riche en thématique et en détails (les pilleurs de tombes, l'éléphant, ...), ce qui en fait un album particulièrement plaisant à relire.
Un détail qui m'a toujours intrigué : quand Monya raconte son futur, son vaisseau ressemble bigrement à ceux des Viénens, çà m'a toujours intrigué (planche 11B)
En effet, le vaisseau que Monya et son père utilisent a une véritable parenté avec les navettes des Vinéens ou même le tracteur sous-marin vu dans l'album "Les Archanges de Vinéa". Cela dit, les autres objets de la Terre future qui nous sont montrés ne ressemblent pas à la technologie vinéenne. Le translateur lui-même, le laboratoire spatial et son agencement intérieur, correspondent à un "design" très différent. Cela montre bien tout le talent d'illustrateur de Roger Leloup, capable en quelques cases de définir des univers semblables et pourtant différents...
Au plaisir de te revoir ici, à bientôt :) !