Ceux qui sauront
Récolté à Lyon pas plus tôt que Mercredi passé, quelques pages lues dans le train au retour m'ont convaincu de mettre de côté (pour le moment) l'autre uchronie que je lis à l'heure actuelle (Ariosto Furioso, dont je parlerai dans quelques jours) afin de me concentrer sur ce sympathique roman de Pierre Bordage...
Résumé :
En 1882, le parti de l'Ordre a renversé la Troisième République lorsqu'elle a voulu ouvrir l'accès à l'instruction pour l'ensemble des classes populaires. Jules Ferry a été fusillé. Philippe d'Orléans est devenu roi et Versailles est devenue la capitale du pays. En 2008, la France vit toujours sous une monarchie oppressive qui réprime l'instruction publique. La classe possédante, nobles et bourgeois anoblis, vit dans la peur du jour où les travailleurs, ceux que l'on appelle les "cous noirs", ouvriers et paysans, se révolteront : les émeutes de 1982, quand la troupe a tiré sur la foule, sont dans toutes les mémoires. Jean est un jeune "cou noir" : âgé de quatorze ans, une institutrice clandestine lui apprend à lire avec la bénédiction de sa mère, malgré les risques qui pèsent sur eux. Clara, elle, est une fille de la bourgeoisie anoblie que sa famille veut marier avec un fils de la noblesse, alliance matrimoniale fort avantageuse. Tout les éloigne, et pourtant, leurs destins vont se croiser une fois, puis deux : même les mécaniques oppressives les plus huilées ne peuvent interdire la circulation du savoir illégal, surtout lorsque la haute technologie s'en même, et encore moins l'expression des sentiments humains...
La description d'une société d'Ancien Régime transposée au XXIème siècle est assez convaincante. La résignation des "cous noirs" et l'arrogance des possédants correspond bien à cette impression diffuse que l'on retire de l'étude historique, disons, jusqu'au milieu du XVIIIème siècle. La résignation est appuyée par un certain nombre de clins d'oeil à notre contexte historique : les "cous noirs" vivent dans la peur de voir leurs emplois délocalisés aux colonies... Quant à l'arrogance, elle dissimule mal l'angoisse de ces mêmes possédants, qui sont prêts à tout pour conserver leur ascendant. Si l'intrigue est simple, elle n'est pas pour autant simplette, et cette histoire d'adolescents que tout sépare et qui finissent par se retrouver à la fin se laisse lire sans laisser une affreuse impression de mièvrerie : c'est déjà bien en soi.
La bonne idée de Pierre Bordage consiste encore à ne pas trop "charger" la mule en accablant les nobles. Parce que déjà au XVIIIème siècle, ceux-ci n'étaient pas les seuls responsables de l'exploitation des travailleurs. La bourgeoisie, et en particulier le pouvoir financier, en prend pour son grade, mais aussi et surtout les simples exécutants du pouvoir politique vendu à une idéologie de classes : armée, gendarmerie et police apparaissent comme les premiers maillons de la chaîne et, en fin de compte, comme les véritables maîtres du pays, soumis au roi et à son gouvernement par des techniques relevant presque de la manipulation mentale. Quand on referme le livre, on en reste avec une sensation presque d'inachevé, l'ampleur de l'histoire qui nous est racontée ici méritant de s'exprimer à travers une oeuvre bien plus longue, ou alors à travers maintes suites... Alors que, dans le même temps, ce roman est caractéristique d'une véritable maîtrise de l'écriture, où s'imbriquent divertissement et instruction du lecteur.
Faut-il y voir, au-delà du talent de Pierre Bordage, un risque inhérent au genre uchronique ?
Commentaires
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Merci pour m'avoir convaincue ^^
J'ai hâte de savoir ce que tu penseras de "Ceux qui rêvent" : j'ai bien aimé, mais moins que le premier tome, je trouve que le rythme s'essouffle un peu parfois !
Je pense lire ce bouquin, en effet : sa critique viendra donc dans un avenir prochain. Tu me diras ce que tu as pensé de ma critique :) ...
Au plaisir en tout cas :) !
Globalement je peux dire que j'ai apprécié, avec juste le regret d'une psychologie des personnages pas assez poussé,et un récit un peu plat. L'uchronie est bien mise en place et les éléments historiques, les réels comme les inventés sont faciles à suivre.
Je lirai la suite.