Furies déchaînées
J'ai déjà parlé ici de Anges déchus, le deuxième volume de la saga space-opera cyberpunk de Richard Morgan ouverte par Carbone modifié. J'en avais gardé un sentiment très mitigé, celui d'une lecture assez palpitante mais sans grands moments. Une petite déception suite à l'excellent Carbone modifié, qui m'avait conduit à enterrer Anges déchus dans ma PàL pendant des mois. Je ne l'ai ressorti de là qu'à la faveur d'une sortie de terrain avec mes élèves de Première S : il me fallait un bouquin plutôt palpitant afin de m'aider à veiller, le soir, le temps que les chers petits acceptent de s'endormir. Parce que le concept de se lever à six heures et demie du matin ce qui aurait dû être le premier Dimanche des vacances, il n'a rien d'évident pour des adolescents de seize ans...
Résumé :
Takeshi Kovacs est de retour, et il est pas content. Sur Harlan, son monde natal, l'ancien des Corps Diplomatiques - la force d'élite du Protectorat des Nations Unies - mène une vendetta contre les prêtres de la Nouvelle Apocalypse (secte s'opposant au réenveloppement des morts), dont il récupère les piles corticales. Dans quel but, alors que ces fanatiques religieux, de toute façon, s'opposent à leur propre réenveloppement ? Et pourquoi ? Il croise soudain la route d'un groupe de déClass conduit par Sylvie Oshima. Le travail de ces techniciens bardés d'augmentations métaboliques et informatiques, c'est de nettoyer les champs de bataille de la révolution quelliste, écrasée trois siècles plus tôt, mais qui est dans toutes les mémoires - surtout à cause des nanotechs évolutifs qui ont été utilisés de part et d'autre... Suite à une altercation avec un groupe de yakuzas, Kovacs doit suivre le groupe d'Oshima dans la zone à nettoyer. Ce qu'il ne sait pas, c'est que des rumeurs commencent à se répandre d'un retour de Quellcrist Falconer, l'initiatrice de la révolution quelliste, portée disparue, présumée Vraiment Morte, depuis une éternité... Il ne sait pas non plus que l'oligarchie de Harlan a réactivé en toute illégalité une copie de lui-même, plus jeune, afin de traquer Quell. Qu'est-ce que Kovacs va trouver dans la zone à nettoyer ? Va-t-il devoir se battre contre lui-même ?
Je dois dire que je ressors de Furies déchaînées avec la même déception que celle éprouvée à la lecture de Anges déchus. Richard Morgan, semble-t-il, ne renouvelle pas son univers. Cela ne serait pas un défaut si celui-ci restait intelligible : hélas, on est baladé de lieu en lieu sur Harlan sans parvenir à établir une géographie compréhensible. En fin de compte, il nous manque une carte, au grand minimum, afin de savoir où l'on se trouve au juste. Dans le même temps, on est confronté à un nombre effarant de personnages rencontrés par Kovacs au fur et à mesure de sa "quête". Groupes de personnages qui apparaissent, qui disparaissent, dont certains reviennent, et d'autres non. A chaque fois, on ne comprend pas très bien pourquoi il se met à les fréquenter, ce qu'ils peuvent lui apporter, ce qu'il cherche en les contactant, et pourquoi il finit par les quitter. A tel point que l'on finit par en perdre le compte...
Dans ce fouillis, l'enjeu de l'histoire finit par être tout à fait perdu de vue. Que veut Kovacs, en fin de compte ? Et quel est le schéma de ce roman ? S'agit-il de la vendetta personnelle de Kovacs contre les prêtres de la Nouvelle Apocalypse ? S'agit-il de sa lutte contre les démons de son passé ? Quel est le "grand schéma" de la série ? Après en avoir lu les trois épisodes disponibles, j'ai envie de dire que l'intention de l'auteur est de raconter l'histoire d'un monde futur sur le point de connaître d'immenses bouleversements civilisationnels, culturels et sociaux après une longue, très longue période de stase déclenchée par l'invention d'une forme d'immortalité numérique. Kovacs, ancien "Diplo", électron libre capable de changer de corps presque comme il respire, est sans nul doute le meilleur guide que nous aurions pu trouver pour découvrir ce monde à travers ses yeux. Hélas, à part se rendre compte que ce type est un surhomme, on ne fait pas grand-chose d'autre depuis la fin de Carbone modifié...
L'auteur a-t-il voulu montrer qu'il maîtrisait la technique de plusieurs fils d'intrigue convergents ? Si c'était son intention, c'est raté : de toute évidence, il ne pouvait pas le faire en gardant le seul point de vue de Kovacs. Au lieu de cela, on a l'impression de se retrouver dans un bateau ivre qui ne sait pas trop où il va et qui ne planifie pas grand-chose alors qu'il est quand même sous le coup de la pire menace qui puisse peser sur lui dans cet univers. Il ne prend même pas la peine de juguler ses accès de colère malgré ce conditionnement émotionnel de "Diplo" qu'il porte en étendard ! Assez vite, on comprend que ce bouquin existe sans doute surtout pour un feu d'artifice final, un déchaînement de violence libératoire. Eh bien, même ça c'est décevant. Au fond qui est le véritable ennemi dans cette histoire ? On n'en sait pas grand-chose. Surtout dans la mesure où l'on finit par se perdre dans les noms des uns et des autres.
J'ai mis trois semaines à lire ce bouquin alors que je n'ai pas lu grand-chose d'autre pendant ce temps : déjà, c'est un premier indice. Le deuxième, en fait, a précédé le premier dans la chronologie de ma lecture : je n'en ai pas lu plus d'une vingtaine de pages pendant la sortie de terrain et les chérubins ont réussi, semble-t-il, à la faire, leur teuf, entre deux et trois heures du matin... Pas étonnant que certains d'entre eux aient eu de la peine à se lever quelques heures plus tard...
Je ne suis donc pas sûr d'y revenir. A Richard Morgan, pas en sortie de terrain.
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