Palimpseste
Voici la chronique d'un livre acheté il y a quelques jours en prévision du week-end de la Pentecôte. Magré ma précédente déception avec un Charles Stross, j'ai décidé de laisser sa chance à celui-ci. Bien m'en a pris, et même très bien...
Résumé :
La Stase exerce son influence sur toute l'Histoire de l'espèce humaine et même au-delà. Utilisant un réseau de trous de ver pour pratiquer le voyage temporel, ses agents passent d'une époque à l'autre et apprennent à façonner les civilisations, le monde et même le système Solaire. D'extinctions en extinctions, la Terre - maintes fois remaniée puis Réensemencée - abrite l'espèce humaine pour mille milliards d'années sous la lumière d'un Soleil à demi-artificiel. Pierce est un stagiaire, récupéré au début du XXIème siècle. La Stase lui a proposé de travailler pour elle, ce qui - grâce aux technologies médicales concentrées à la Bibliothèque de la Fin des Temps - garantit presque l'immortalité. En contrepartie Pierce ne doit faire qu'une chose très simple : tuer son propre grand-père avant la naissance de son père. Le contrat faustien une fois signé, il va devoir apprendre à échapper aux palimpsestes, ces moments où plusieurs interventions simultanées mettent en péril la trame du temps. Mais quelque part, dans le lointain avenir où les ingénieurs de la Stase ont appris à remodeler la Terre à intervalles réguliers, la femme qu'il aime fait une découverte extraordinaire. Et presque aussitôt, Pierce voit ce fil historique, et sa famille, disparaître de la Bibliothèque de la Fin des Temps - comme s'ils n'avaient jamais existé. Quelqu'un, dans la Stase, lui voudrait-il du mal ? A moins que ce ne soit la mystérieuse Opposition qui l'ait dans son colimateur...
Disons-le tout de suite, j'ai été emballé par ce court livre (187 pages), dense et très, très bien fichu. Cette histoire d'une caste de "gardiens" hors du Temps me fait penser, d'une façon irrésistible, à La Fin de l'Eternité d'Isaac Asimov. Tant du point de vue du thème, que de celui des concepts (on retrouve d'une façon presque transparente celui de physio-temps, par exemple) et même de l'intrigue, la parenté entre les deux oeuvres me semble claire et sans doute même assumée. Charles Stross a lu ses classiques, mais cela n'en fait pas pour autant un plagiaire. L'Eternité d'Asimov devient la Stase, mais leurs buts sont les mêmes : veiller sur l'Histoire humaine jusqu'à ce que la vie humaine sur Terre ne soit plus possible. Ce faisant, la Stase (tout comme l'Eternité) manipule les civilisations et récolte l'information pendant ses milliards d'années d'existence, interdisant - au passage - toute exploration spatiale en dehors des limites du Système Solaire.
Là où le génie de Charles Stross s'exerce et permet d'éviter à son Palimpseste de n'être qu'une resucée de La Fin de l'Eternité, c'est que là où Asimov évoquait l'incompatibilité fondamentale entre le voyage temporel et le voyage spatial, ici, l'interdiction du voyage spatial est justifiée par les nécessités de l'ingénierie grâce à laquelle la durée de vie du Soleil, et celle de la Terre, sont multipliées par cent. Car nier le second principe de la thermodynamique a son coût. Et ce coût, c'est de fermer la route des étoiles à l'espèce humaine... A moins que cette justification ne soit qu'un prétexte pour la Stase qui exerce ainsi sur l'espèce humaine un pouvoir sans conteste possible ? On retrouve ici le goût morbide pour le pouvoir qui marquait déjà les Eternels d'Asimov. Soucieux en apparence d'assurer le bien de l'espèce humaine, ils sont surtout soucieux de la perpétuation de leur propre caste. L'apparition d'une Opposition à la Stase est donc tout aussi naturelle que la présence, chez Asimov, d'une civilisation du lointain futur opposée à l'Eternité. La façon dont l'Opposition accomplit son projet présente quelques similarités avec celle qui conduit à l'élimination de l'Eternité chez Asimov - mais comme on est chez Stross, il va y avoir quelques surprises. Et Stross, au contraire d'Asimov, n'hésite pas à confronter son héros à maints paradoxes temporels.
Cette fois-ci, oui, c'est fascinant. C'est du Stross. Je ne saurais faire mieux que de recommander ce livre à tout amateur sérieux de SF car c'est pour moi une énorme claque, dont la récompense (prix Hugo 2010) me semble tout à fait méritée. Achetez-le, empruntez-le, faites ce qu'il faudra, mais lisez-le. S'il vous plaît.
Commentaires
Sinon, je ne sais pas ce qu'Aube d'Acier vaut, s'il fait partie d'un cycle, s'il peut se lire indépendamment ?
A.C.
@A.C. de Haenne : Aube d'Acier appartient à un cycle ouvert par Crépuscule d'acier mais ne semble pas avoir de lien avec Palimpseste. C'est une lecture assez sympathique qui m'avait fait penser à la nouvelle éponyme du reccueil "La nuit de la lumière" de Farmer...
@Eumène : dépêche-toi de le lire. C'est de l'excellent Stross.
grâce à ton commentaire, je me suis inscrite sur News Book pour le recevoir et j'ai été sélectionnée : j'ai hâte de le découvrir
@Val : fonce.
@XL : fonce.