Les Technopères tome 1

Dans les années 1970, un artiste a décidé d'adater Dune au cinéma. Cet artiste s'appelle (car il est toujours en vie) Alexandro Jodorowsky et, dans une interview accordée à la revue Métal Hurlant (présentée ici sur le site de Sarfa), Jodo nous explique ses idées sur l'adaptation du roman de Frank Herbert et les raisons pour lesquelles son projet a en fin de compte capoté.

Jodo n'a de toute évidence pas jeté à la poubelle ce qu'il faut appeler le fruit de ses recherches artistiques. Parce que l'homme qui voulait filmer le "Dune de Jodo" a été impliqué, ensuite, dans une abondante production artistique toute entière imprégnée (juste retour des choses) par le Dune de Frank Herbert. A commencer par L'Incal, une série de BD publiée dans les années 1980, soit une petite dizaine d'années après l'échec du projet dunien de Jodo. Assisté au dessin par le grand Moebius, Jodo a pondu un énorme space-opera où John Difool (rien à voir avec l'animateur de Fun Radio quand j'étais adolescent, avant de passer sur Skyrock quelques années plus tard), le détective privé classe minable, se trouve contre son gré embringué dans une véritable épopée où se conclut la lutte immémoriale entre la lumière et "la ténèbre". Epopée mâtinée de fantasy et, sur la fin, de mysticisme. J'ai découvert cette BD quand j'étais tout gamin car mon père, cet inconscient, l'avait laissée à ma portée. Je pense que je ne savais même pas lire, à l'époque, si bien que je devais me contenter de regarder les images, sans nul doute captivé par le dessin magnifique de Moebius. Ayant sans doute remarqué que je ne laissais pas tomber une BD que je ne comprenais pas, ma mère (qui n'a aucun intérêt pour la SF) a dû regarder par dessus mon épaule et décider que tout compte fait, une BD où le héros passe la moitié de son temps à se faire courser par des bestioles qui veulent le bouffer puis l'autre moitié à courir après tout ce qui ressemble de près ou de loin à une créature femelle n'était sans doute pas très appropriée pour mon cas. Je fus donc renvoyé à Tintin (dont mes parents assuraient la lecture) et L'Incal fut escamoté. Je ne le redécouvris que des années plus tard, dans une bibliothèque municipale, quand j'étais en Cinquième. Et ce fut, je dois le dire, une illumination dans ma cervelle déjà bien atteinte par la SF.

C'est toujours grâce à Jodo que je connais le concept de préquelle, et depuis la même époque, car j'ai découvert à peu près au même moment la série des Avant l'Incal (avec laquelle j'avais beaucoup moins accroché). Moebius, de toute évidence, n'avait pas voulu se lancer dans ce projet et le dessin avait été pris en charge par Zoran Janjetov (retenez ce nom), qui a travaillé d'une façon évoquant le dessin de Moebius. Au-delà de ces détails, il faut bien reconnaître que la série est assez peu indispensable. C'est là toute la difficulté de l'exercice de la préquelle : comment raconter ce qui précède l'histoire que l'on a déjà racontée ?

Dans le même temps, Jodo a augmenté ce qu'il faut désormais appeler Incaliverse par une grosse série explorant l'histoire d'un des personnages les plus mystérieux de L'Incal, à savoir, le fameux Méta-Baron. Dont on ne sait presque rien, sinon qu'il est le combattant ultime. Une série qui a des admirateurs inconditionnels, à tel point que l'on pourrait presque croire que L'Incal est une série dérivée de La Caste des Méta-Barons - alors que c'est l'inverse. Il s'agit (encore) d'une histoire de space-opera mâtinée d'heroic fantasy. La raison de son succès est sans doute que l'on peut se demander, en la lisant, si par hasard ce ne serait pas plutôt une histoire d'heroic fantasy mâtinée de space-opera... Je ne me prononcerai pas là-dessus puisqu'il paraît que "le public a toujours raison". Toujours est-il que je ne suis pas très fan de cette série commencée dans les années 1990.

A la fin de cette même décennie, Jodo s'est lancé dans un nouveau projet, ce qui m'en permet de venir à mon sujet (il serait temps... mais une personnalité créatrice telle que celle-ci mérite son introduction). En fin connaisseur de l'imaginaire, Jodo a dû remarquer, dans les années 1990, la convergence entre le space-opera et (non plus l'heroic-fantasy mais bel et bien) le cyberpunk. Je ne sais pas s'il a lu Hypérion mais j'aurais tendance à le penser. En bon réinterprète, il en a tiré un pitch pour une nouvelle série de BD, à mon sens plus intéressante que La Caste des Méta-Barons, et où Zoran Janjetov est à nouveau convoqué au dessin - mais cette fois-ci, où il se trouve libre de toute influence graphique.

Résumé :
Dans un futur lointain, une troupe de pirates de l'espace vient piller un astéroïde sacré où Panépha, jeune vierge d'une grande beauté, attend d'être intronisée oracle de la Maison Impériale. Violée par les pirates, elle perd tout et conçoit un terrible projet de vengeance : elle est déterminée à émasculer elle-même les monstres qui l'ont souillée ! Trois enfants naissent du viol : Almagro, l'aîné, qui est aussi le préféré de sa mère, Albino, le cadet, qui déplaît à sa mère à cause de sa peau trop pâle et de ses yeux rosés, puis enfin Onyx, la dernière, image de son père Oulrij, chef des pirates, avec sa peau rouge et ses quatre bras - et sur qui Panépha reporte aussitôt toute sa haine. Douze ans plus tard, Panépha dirige la célèbre et unique fromagerie Kamenvert, dont les fromages au lait de guanodonte sont réputés dans toute la Galaxie. Elle consacre sa richesse à un seul et unique but, à savoir, se venger d'Oulrij et de ses pirates. Almagro, enfant gâté, ne rêve que de gloire et de sang. Albino, quant à lui, veut pouvoir entrer dans la secte pan-techno et devenir créateur de jeux vidéo. Quant à Onyx, Panépha et Almagro la cantonnent aux tâches les plus répugnantes. Leurs destins se séparent quant Panépha consent à envoyer Albino dans une pré-école techno : celui-ci, heureux de quitter enfin la fromagerie où il doit appeler sa mère "patronne", ne sait pas que celle-ci l'a en fait vendu et que sa vie appartient au maître de la pré-école techno... Mais Albino est un élève talentueux et un premier coup d'éclat va faire se porter sur lui l'attention du redoutable Maître Eldonzo, un bourreau, c'est-à-dire, un membre élevé dans la hiérarchie de la secte. Dans le même temps, Panépha investit sa richesse dans l'achat d'un astronef de guerre dernier cri, La Furie Verte, et recrute la troupe de mercenaires du général Power-Nicky. L'heure de sa vengeance est-elle proche ?
Dans ce volume d'exposition (merci Efelle) on découvre un nouveau pan de L'Incaliverse. La mystérieuse "secte pan-techno", qui est à l'origine des oeufs d'ombre dans L'Incal, est l'objet des espoirs du jeune et naïf Albino. Sa naïveté, pourtant, ne va pas sans un beau talent et surtout une véritable intelligence. Il perçoit en effet déjà qu'une chose ne va pas dans cette galaxie que son "moi" plus âgé fuit cent ans plus tard. L'image biblique est ici omniprésente, Albino devenu suprême technopère se comparant lui-même à un "paléo-Moïse". Le dessin, quant à lui, est parfait de clarté comme de précision. Certains le trouveront peut-être un peu froid mais c'est sans doute un effet recherché par les auteurs.

Dans cet album, je regrette surtout les "tics de langage". Cette façon d'ajouter à n'importe quel mot des préfixes (homéo-bidule, paléo-machin, pan-truc...) à qui mieux mieux finit par être agaçante.

En fin de compte, un volume d'exposition réussi, qui instaure un rythme narratif (prologue en compagnie d'Albino âgé, une première partie avec Albino version plus jeune face à un changement de vie, une deuxième aux côtés de sa famille un peu spéciale puis une troisième et dernière où l'on en revient à la version plus jeune d'Albino et à son départ vers une nouvelle destination, plus menaçante que l'endroit où il se trouvait dans l'album). La version âgée d'Albino agit pour nous comme un guide, et comme un narrateur, nous permettant de voir que malgré les péripéties, le héros s'est tiré d'affaire. Voilà qui est rassurant, et plutôt plaisant... Même si l'on aimerait savoir, au juste, à quel moment se déroule cette intrigue dans L'Incaliverse.

Commentaires

Guillaume44 a dit…
Je les ai lus au fur et à mesure de leur sortie et j'ai quand même moins apprécié que le reste de l'univers incalesque quand même !
Anudar a dit…
De toute façon, je pense qu'on ne peut pas rivaliser avec "L'Incal". Mais ce premier épisode est malgré tout très alléchant.
Vert a dit…
J'ai lu la série à une époque, je savais même pas que ça se rattachait à un univers. J'avais relativement bien aimé (surtout les dessins) mais y'avait des passages qui me plaisaient pas du tout et la conclusion non plus (enfin je suis pas sûre d'avoir terminé en fait xD). Mais comme personne n'empruntait la série à la bibliothèque, j'ai pu tout lire d'une traite ou presque, ça c'était chouette :D