Les goûts musicaux c'est pas évident - Août 2011
Après un mois de pause, voici le retour de ma chronique musicale mensuelle avec un villancico. Celui-ci est imprégné d'un contexte historico-politique : à la fin du XVème siècle, la France commence à s'affirmer comme puissance européenne dominante. L'Angleterre a perdu la Guerre de Cent Ans et s'enfonce dans la guerre civile entre deux branches de sa dynastie régnante. Cependant, c'est du Sud que va venir la menace pour l'hégémonie française : l'Espagne s'oriente à la fois vers son unification politique et vers les conquêtes au Nouveau-Monde...
Muy crueles bozes dan,
catalanes blasfemando:
¡Fuera, fuera, duque Juan,
que es casado el Rey Fernando!
Torna, torna, Barcelona,
a tu señor natural.
Francia juega dedos val:
¡Sus, e mate por la dona!
Correos vienen, correos van
por todo el mundo gritando:
¡Fuera, fuera, duque Juan,
que es casado el Rey Fernando!
De leurs voix cruelles,
blasphèment les Catalans :
Va-t'en, duc Jean, va-t'en,
car le roi Ferdinand s'est marié !
Reviens, Barcelone, reviens
à ton seigneur naturel.
La France a joué aux dés :
or sus, échec à la dame !
Les messagers vont et viennent
et crient partout :
Va-t'en, duc Jean, va-t'en,
car le roi Ferdinand s'est marié !
Le villancico fait référence au mariage royal entre Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon, dont l'union concrétise l'unité de l'Espagne, laquelle ne s'est plus jamais démentie par la suite. A cette époque, la France a semble-t-il tenté de mettre la main sur la Catalogne, qui était une possession très autonome du roi Ferdinand et dont une partie de l'aire culturelle débordait (déborde toujours à l'heure actuelle, en fait) sur le territoire français. Les projets du roi de France furent contrecarrés, premier coup lui montrant qu'il y avait au Sud une puissance montante et très hostile, mais ne pouvant néanmoins laisser présager que moins d'un siècle plus tard, l'Espagne serait à la tête d'un empire sur lequel même le Soleil ne se couchait pas et qu'au contraire la France, à son tour, serait déchirée par les guerres civiles.
Ironie de l'Histoire : le siècle espagnol n'a été qu'une parenthèse n'ayant fait que retarder l'époque de l'hégémonie française en Europe. Au milieu du XVIIème siècle, la même Catalogne qui avait acclamé l'union des monarchies espagnoles se révoltait contre cette même union et reconnaissait pour un temps l'autorité de Louis XIII. Cinquante ans plus tard, à la faveur d'une rupture dynastique en Espagne, celle-ci dut se chercher un nouveau roi, et en trouva un en la personne du petit-fils de Louis XIV. Mais cela, les compositeurs du villancico ne l'ont jamais su.
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