L'Enjomineur 1794
Suite et fin de la saga L'Enjomineur, fiction historique mâtinée de fantasy de Pierre Bordage...
Résumé :
A Paris, Emile est aux mains des adorateurs de Mithra. Derrière la société secrète d'un culte considéré comme éteint par la chrétienté depuis des siècles, se cache le "Père des pères", qui fut autrefois soldat de la Rome antique, et qui a vu sa vie prolongée par maints artifices médicaux : un véritable prophète qui a prévu l'ascension de l'Atar de la Fin des Temps, son successeur, celui qui va mettre fin au règne de la Lune et imposer celui du Soleil. Il est aussi nul autre que le propre père d'Emile... et celui-ci est le messie attendu par les adorateurs de Mithra. A la Convention, Robespierre et les siens ont éliminé toute forme de contestation : le fruit est mûr pour que la République soit remplacée par un nouveau royaume et une nouvelle religion, ce n'est plus qu'une question de semaines et peut-être de jours... Emile, pourtant, bien que fasciné par les vies antérieures qu'il explore grâce à l'haoma, cette drogue prophétique dont le secret n'est plus connu que des deux prêtresses du culte de Mithra, est toujours attaché à l'engagement qu'il a pris jadis devant le "peuple invisible". Pourra-t-il remettre la main sur la dague de la sirène ? Acceptera-t-il son destin de messie du règne solaire ou bien va-t-il se rebeller pour vivre comme un homme ordinaire ? Cornuaud, quant à lui, a rejoint sa Vendée natale où il va changer de camp à maintes reprises... Pour l'enjomineuse vaudoun qui le possède encore et toujours, peu importe si ceux qu'il tue sont des républicains ou des royalistes - dans la mesure où la couleur de leur peau est blanche. Il se pourrait, cependant, que même la sinistre résolution de la sorcière finisse par s'effriter : le soudard qui ne croit plus en rien ne risque-t-il pas d'y laisser sa vie, après avoir épuisé sa santé dans cette coopération contre nature ?Les jours troublés de la Terreur me semble fort bien rendus dans cette fresque où Cornuaud change de camp presque à chacun des chapitres. D'une façon assez surprenante, l'enjomineuse ne se montre que très peu "idéologue". En la matière, elle partage avec Cornuaud une philosophie plutôt simple voire simpliste : mes ennemis sont ceux qui m'ont fait du mal et ceux qui ressemblent à ceux qui m'ont fait du mal. Sauf que, dans une époque aussi complexe, il devient très vite impossible de tirer des frontières claires... En fin de compte, ce duo se change en étrange personnage à deux têtes, plus ou moins schizophrène, Cornuaud finissant par bénéficier d'un libre-arbitre plus étendu et parvenant à prendre maintes initiatives dont toutes sont loin d'être abominables : serait-il sur la voie de la rédemption et de la réconciliation avec la sorcière qui le possède ?
C'est en fin de compte les passages concernant Emile qui apparaissent les moins convaincants. Je ne ferai aucun rapprochement concernant le "je suis ton père" du "Père des pères". On sait depuis longtemps que la Lune, sur l'univers imaginaire de Pierre Bordage, ne se couche jamais : la volte-face d'Emile est donc attendue, et sa raison d'être - le besoin physique, physiologique, intime, de retrouver Perrette - est connue depuis le premier volet de cette histoire. Bien sûr, le personnage mérite ses retrouvailles avec la femme qu'il aime. Mais j'aurais voulu qu'il passe plus près de l'abîme. J'aurais aimé le voir hésiter. J'aurais voulu qu'il choisisse pour de vrai. Dans ces circonstances, la fin de l'histoire me laisse un arrière-goût de déception : Emile revient lui aussi en Vendée où il cherche Perrette dans les monceaux de destruction. Alors que Cornuaud applique peu à peu la philosophie pratique apprise pendant son séjour à Paris et ses aller-retours vendéens entre les deux camps, Emile apparaît transfiguré bien trop tôt, un personnage qui ne peut plus évoluer dès la moitié du temps fictionnel de ce livre, et qui en fait ne sert plus qu'à montrer le destin de ses amis vendéens...
Après un deuxième tome éblouissant, j'attendais beaucoup et j'en reste un peu déçu. Quel dommage. Bien entendu, cela ne m'empêchera pas d'y revenir : Pierre Bordage est un très grand conteur et cette "histoire secrète" d'une Révolution fantasmée reste un bon roman de fantasy...
Lire aussi l'avis de Efelle.
Commentaires
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