Don Quichotte tome 1

En guise d'ouverture "officielle" du Mois Don Quichotte, voici donc ma chronique du premier tome du roman de Cervantes...
Résumé :
Une époque : le XVIème siècle finissant, ou le début du XVIIème siècle. Un lieu : la Manche, province d'une Espagne unie depuis une centaine d'années sous le règne des Rois Catholiques. Un homme : nobliau de la Manche, lecteur de romans de chevalerie, qui finit par vivre dans une illusion : les personnages et les intrigues des romans de chevalerie ne relèvent pas de la fiction mais de faits réels. Alors, la fiction, devenue réalité dans la tête du pauvre homme, se met à déborder dans sa vie quotidienne : le voilà qui s'invente le personnage de Don Quichotte, chevalier errant, déterminé à redresser les torts et à vivre des aventures plus incroyables que celles de ses livres. Une première sortie lui donne l'occasion de tester son équipement et de vivre quelques déconvenues - c'est pourquoi, pour la deuxième, il recrute un écuyer en la personne de Sancho Panza. Les deux hommes, l'un fou à enfermer, l'autre alléché par la perspective de gouverner un archipel si son maître finit empereur comme le promettent les romans de chevalerie, partent sur les chemins de la Manche, à la recherche d'aventure. Et l'aventure, ils la trouveront : entre auberges devenues châteaux enchantés et compagnons de rencontre changés en chevaliers ou dames en détresse, la seule limite à la folie de Don Quichotte sera celle de son imagination. Laquelle est elle-même sans limites...
Publié en 1605, le premier volet du Quichotte de Cervantes est considéré comme le "père" du roman occidental moderne. C'est à plusieurs niveaux un livre sur la littérature. Cervantes n'est, à n'en pas douter, un fin connaisseur des romans de chevalerie dont son personnage a quelque peu abusé : il en connaît les codes, et les maîtrise sans doute fort bien. Il place dans la bouche de Don Quichotte maints discours grandiloquents et surtout grotesques dont il se moque lui-même :
"A ces sottises il en ajouta bien d'autres, fort ressemblantes à celles qu'il avait lues dans ses romans, dont il imitait de son mieux le langage."
C'est que le roman de chevalerie, pour Cervantes, a pu s'exprimer à travers des oeuvres fort intéressantes, qui sont citées au début du livre - puisqu'elles sont épargnées lors de l'autodafé des romans de chevalerie de Don Quichotte. Le problème, comme on le comprend à la fin du livre, n'est pas celui du roman de chevalerie comme genre mais bel et bien celui de ses expressions par trop médiocres et surtout invraisemblables. Don Quichotte, à force de rechercher le seul divertissement à travers ses chers romans de chevalerie, finit par croire à leurs absurdités. On pourrait en dire autant, à l'heure actuelle, de certains genres en littératures de l'imaginaire. Roman sur la littérature, Don Quichotte est l'occasion, pour son auteur, de préciser d'une façon assez transparente ce qui est - devrait être - le fil directeur d'une "belle" oeuvre. Cervantes "roule" de toute évidence pour le réalisme en littérature et en fiction, d'une façon générale. Sans nul doute aurait-il émargé, à l'heure actuelle, dans les catégories de la littérature dite blanche, catégorie à laquelle je rattache volontiers Don Quichotte...

Le Quichotte intrigue par ailleurs avec son étrange composition. Les aventures comiques du personnage éponyme, le passage bien connu des moulins à vent n'étant qu'une péripétie parmi bien d'autres, sont espacées par d'autres intrigues plus sérieuses. L'Espagne, un siècle après la Reconquista, n'a pas encore digéré son héritage mêlé entre romanité chrétienne d'une part et l'apport arabo-musulman d'autre part (d'aucuns diraient que cet héritage n'est pas encore digéré à l'heure actuelle... mais on s'éloignerait alors du sujet...). La mer, que Don Quichotte n'atteint pas dans ce livre, est pourtant omniprésente : elle sépare les civilisations du Nord et du Sud, elle est le champ de la bataille de Lépante (où Cervantes a combattu) : nul doute que l'archipel promis par Don Quichotte à Sancho Panza doit être méditerranéen. Entre captifs chrétiens au Maghreb, renégats convertis à l'islam et femmes mauresques adorant la Vierge Marie en cachette, Cervantes présente le tableau d'un monde où les frontières, déjà, sont poreuses, où les civilisations s'entremêlent et où l'ennemi, parfois, est le pareil, le semblable, plutôt que l'étranger. Don Quichotte n'est pas qu'un fou capable de raisonner : c'est aussi un lettré ignorant.

Aux folies d'un personnage qui cherche à rétablir la gloire d'un ordre qui n'a jamais existé, s'opposent les sentiments contrariés d'autres personnages ancrés dans le réel. Amis trompés, amours contredites et rapports sociaux conflictuels, ne peuvent trouver satisfaction dans les solutions simplistes proposées par Don Quichotte. Le mal ne s'incarne pas dans les géants ou les mauvais enchanteurs. Les sentiments imaginaires de Don Quichotte pour sa dame, Dulcinée du Toboso (en fait, une paysanne), ne pèsent pas grand-chose face à ceux des personnages séparés puis rassemblés par le destin. Le personnage principal apparaît alors, dans ces moments, comme un simple prétexte alors qu'en réalité, sa folie est facilitatrice...

Le texte original est ici traduit par Aline Schulman, qui a produit une traduction tout à fait agréable à lire, et qui est disponible en poche. N'hésitez donc pas à tenter l'expérience...

Don Quichotte et Sancho Panza soutenant les oeuvres de Cervantes.
Je profite de l'occasion pour annoncer qu'au Mois Don Quichotte va s'associer un petit jeu-concours ! Rendez-vous dans quelques jours pour en savoir plus...

Commentaires

Guillmot a dit…
Tu flattes mes racines espagnoles là !
Anudar a dit…
Mais de rien ;) ...
Unknown a dit…
ça m'a l'air tout bonnement passionnant. Il doit y avoir énormèment d'élément de reflexion recoupant avec l'existentialisme.

Personnellement, je me suis toujours dit que lorsque je lirai ce roman, je passerai alors à l'âge adulte.
Je vais attendre un petit peu alors ...
Anudar a dit…
Tente le coup. Moi je l'ai lu pour la première fois à l'âge de vingt-et-un ans.
Efelle a dit…
Faudra que j'y vienne aussi.
Très belle chronique qui donne envie.
Anudar a dit…
C'est un peu le but recherché, de donner envie :) !