Les Enfers virtuels tome 1
Le Cycle de la Culture de Iain M. Banks est l'une de ces oeuvres dantesques dont on entend souvent parler sans l'avoir beaucoup exploré. De mémoire, je n'en ai lu qu'un élément, à savoir L'Homme des Jeux, bien avant de commencer à tenir mon blog. En termes de grand space-opera, le Cycle de Banks est à ma connaissance une originalité : c'est donc en toute confiance que je me suis plongé dans ce livre.
Résumé :
Imaginez des civilisations qui diposeraient d'une technologie permettant le transfert post-mortem des âmes dans une simulation informatique. Parmi celles-ci, tentez d'imaginer une civilisation cherchant, de la sorte, à rendre plus palpables les châtiments promis par ses religions. Là est la perversité qui conduit bon nombre de civilisations brillantes à se lancer dans la construction des Enfers virtuels : des simulations informatiques où les morts sont laissés aux mains de démons sadiques, chargés de les faire souffrir ad mortem aeternam. Or, d'autres civilisations, peut-être plus équilibrées, peut-être moins vertueuses, trouvent abominable qu'il puisse exister quelque chose comme les Enfers virtuels. Alors, une confliction éclate dans la Virtualité entre les partisans des Enfers virtuels et leurs opposants : la lutte idéologique ne doit pas déborder sur la Réalité. Lededje est bien loin de cette controverse philosophique : elle a hérité d'une dette inscrite jusque dans son génome et son créancier se rembourse au quotidien ou presque. Pourtant, alors qu'elle est tuée après avoir tenté de s'enfuir, voilà qu'elle se réveille ressuscitée à bord d'un vaisseau de la Culture. Soutenue par de puissants alliés, voilà qu'elle prend la décision de rentrer sur son monde natal et de livrer son tortionnaire à son désir de vengeance... Existerait-il un lien entre la croisade personnelle de Lededje et la confliction virtuelle qui s'enlise ?
Le space-opera dans ce livre est très mâtiné de cyberpunk : l'argument des Enfers virtuels, s'il est avant tout philosophique, correspond à une réelle innovation en termes de simulation informatique : j'aurais envie de parler de TÂAO, pour "Transport des Âmes Assisté par Ordinateur". Banks a très bien perçu les enjeux qui recouvrent cette technologie originale : nul doute que bien des religions, devant le risque de voir leur audience s'effriter, chercheraient à prendre le contrôle de l'avenir post-mortem de leurs fidèles en leur proposant un Paradis numérique... ou un Enfer s'ils n'ont pas été sages, les comptes étant de la sorte équilibrés après la mort de l'individu. Voilà une perspective qui a de quoi donner froid dans le dos : Banks décrit fort bien, même si c'est d'une façon peut-être un peu caricaturale, une visite dans l'un de ces Enfers virtuels, des lieux de souffrance où les damnés se trouvent offerts à la folie sadique de criminels psychopathes. Bien loin de l'Enfer de Dante à la porte duquel, à ce qu'il paraît, on voit écrit vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance, les Enfers virtuels sont un lieu où l'espoir lui-même sert à démultiplier l'horreur de la situation des damnés : dans cette sinistre institution, il est légitime de se demander qui au juste, de ses exécutants, de ses concepteurs ou de ses partisans, sont les plus sadiques. La confliction qui oppose les anti-Enfers à l'autre camp apparaît donc bien comme un conflit d'ordre idéologique. La Culture, observatrice intéressée, assiste à la lente perte de terrain de la faction opposée aux Enfers virtuels. On se doute qu'elle va chercher, d'une façon ou d'une autre, à intervenir dans cette guerre qui ne dit pas son nom.
L'histoire de Lededje pourrait, dans ce vaste contexte, apparaître presque hors-sujet. Il n'en est rien. Le camp opposé aux Enfers virtuels apparaît d'emblée sympathique, autant qu'elle... et pourtant son parcours semblerait presque à lui seul être une justification de ces Enfers virtuels ! Ayant souffert le martyre aux mains d'un homme trop puissant pour se considérer comme soumis à une moindre loi, elle évoque un peu ces victimes innocentes qui font pleurer dans les chaumières et servent d'alibi au lobby pro-peine de mort. Et pourtant, elle existe. Et pourtant, elle fascine. Et pourtant, on a envie de la voir buter l'homme qui l'a transformée en sa chose dès avant sa naissance. Là est toute l'ambiguïté fondamentale de ce livre, une ambiguïté qui en fait toute la saveur : il y a là-dedans l'affrontement de deux logiques, une logique microsociale, à l'échelle d'un individu, et une logique macrosociale, à l'échelle de civilisations. Un affrontement qui se joue aussi bien dans l'espace confiné d'un bâtiment, voire d'un vaisseau spatial, que dans l'espace interstellaire ou même le cyberespace...
Arrivé au terme du livre, on se demande bien ce que l'auteur mijote pour la suite... Alors que la confliction menace de s'étendre au Réel, forçant la Culture à prendre parti, Lededje semble être soutenue par des puissances qui jouent leur propre jeu. La jeune femme, qui a vécu un enfer bien réel avant de mourir puis de ressusciter, va-t-elle se changer en Némésis pour son tortionnaire ? Va-t-elle se faire l'avocate du parti des Enfers virtuels ? Ou bien va-t-elle au contraire se changer en figure de proue pour le groupe adverse ? Dans un combat où le symbole semble jouer un rôle de premier plan, il se pourrait bien que sa prise de position soit décisive. Autant dire que l'on attend la suite avec impatience !
Et ce qui ne gâche rien à un bon livre, ne manquez pas l'illustration de couverture, que l'on doit à Manchu.
Lire aussi la chronique de Guillaume Stellaire.
Commentaires
Bienvenue ici et n'hésite pas à choisir un pseudonyme si tu reviens :) ...
Commentaire inutile mais fallait que cela sorte ;-)
quid de "La Cité des Permutants", ce n'est pas le même principe ?
Ceci dit merci pour l'article, ça donne envie de lire le bouquin :)
Bienvenue ici en tout cas !