Don Quichotte Apocryphe
Histoire de conclure le Mois Don Quichotte (l'anniversaire de mon blog, c'était il y a un mois), pourquoi ne pas se plonger dans la continuation apocryphe de l'oeuvre de Cervantes ?
Résumé :
Don Quichotte, rentré chez lui, est soigné de sa folie par ses proches à force de chapelets, rosaires et autres dévotions, si bien qu'il mène une vie plus tranquille, à la grande satisfaction des notables de son village qui le pensent guéri. Mais le feu couve sous la cendre. Sancho n'a pas renoncé à l'idée d'acquérir un gouvernement. Par ailleurs, une rencontre fortuite excite la folie de Don Quichotte : le voilà reparti sur les routes, à la recherche de l'aventure, en compagnie de son écuyer errant. Ils partent pour Saragosse où Don Quichotte veut pouvoir participer aux joutes. Le chemin sera cependant long, et la folie du chevalier ne cesse d'augmenter, tout comme l'appétit de Sancho...
La fin du premier tome du Quichotte laissait le lecteur dans l'expectative : on y voyait un Don Quichotte
ramené chez lui par la force mais pas du tout guéri, tout juste à peine
soigné de son délire chevaleresque. L'auteur se ménageait de toute
évidence la possibilité de reprendre son personnage - ce qu'il a fait en effet
quelques années plus tard. Le public, cependant, a montré un véritable
engouement pour une oeuvre considérée à l'heure actuelle comme l'une des
plus importantes au monde. Un tel engouement ne pouvait qu'éveiller la
convoitise : l'auteur lui-même a eu la surprise, un an avant de publier
son deuxième tome, de voir sortir un... Quichotte apocryphe,
écrit par un certain Avellaneda, auteur dont l'identité réelle reste
mystérieuse même à l'heure actuelle. Si Cervantes, dans sa préface à sa
deuxième partie, semble faire preuve d'une certaine bienveillance à
l'égard d'Avellaneda - la notion de plagiat était alors bien plus floue
qu'à l'heure actuelle - on se rend compte, à la lecture de la fin du
deuxième tome, qu'elle regorge d'allusions à l'oeuvre apocryphe :
allusions souvent piquantes, certains personnages de l'apocryphe étant
réutilisés, certaines de ses scènes étant reprises pour être parfois
moquées. De toute évidence, l'auteur a lu l'apocryphe, et cette lecture a
influencé son écriture de la deuxième partie. C'est pourquoi je pense
que lire cette oeuvre "parasite" permet d'acquérir des clés de
compréhension pour le Quichotte de Cervantes...
La comparaison s'impose entre l'apocryphe et les deux tomes authentiques du Quichotte. Avellaneda semble avoir très bien compris les ressorts comiques du premier tome et il les réemploie non sans efficacité, non sans forcer le trait de la folie du personnage qui prend de plus en plus l'imaginaire pour le réel. Sancho, lui, se transforme en véritable bouffon, titre qu'il est presque sur le point d'acquérir à la fin du livre. On sent à ce parti-pris que ce n'est plus le même auteur qui est aux commandes des personnages : Cervantes, même s'il les malmenait, gardait pour eux un certain respect voire même de l'affection. La traduction, si elle est fort différente - la plus récente remonte à 1853 et elle n'a pas été ré-éditée pendant une très longue période - n'explique pas tout. En utilisant l'instrument imaginé par Cervantes, Avellaneda n'a pu composer la même musique.
Et pourtant, certaines circonstances dans ce livre ne sont pas sans évoquer celles du deuxième tome authentique. Certains thèmes - l'attitude des nobles, par exemple, qui se jouent des deux pauvres hères sans aucune honte - se retrouvent, transparents, aussi bien chez Cervantes qu'Avellaneda. Mieux que cela, on croit percevoir, à travers certains indices, que les deux auteurs... se connaissaient et se sont livrés bataille à travers leur interprétation des folies de Don Quichotte ! Est-ce que le personnage s'est retrouvé, quelque part, l'enjeu d'une rivalité littéraire qui prolongeait, peut-être, une rivalité humaine ? On ne le saura pas, et on se dira juste qu'à certaines époques, sans doute, certaines idées sont dans l'air...
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