May le Monde
De Michel Jeury, je n'ai jamais rien lu. Allez, soyons honnête : j'ai commencé il y a pas loin de deux ans Soleil chaud Poisson des Profondeurs, un soir, veille d'un jour où je me levais tôt. Le lendemain, je ne l'ai pas repris. Mon père m'ayant dit que celui-ci valait la peine que l'on s'y intéresse, j'ai décidé de lui laisser sa chance.
Résumé :
Un monde qui ressemble au nôtre mais qui est pourtant différent. Très différent. May est une petite fille qui sort de l'hôpital pour une permission chez son grand-père. Est-elle en rémission ? Est-elle mourante ? Tout ce qu'elle sait pour de bon, c'est qu'elle pense avoir eu ses prem's : les prémices du Changement qui pourra lui tomber dessus n'importe quand après sa puberté. Car dans le monde où vit May, il arrive que les adultes Changent : un beau jour, parfois sous l'effet d'un stress intense, ils deviennent... quelqu'un d'autre. Et il arrive que le Changement soit si fondamental que leur vie... devient une autre vie... et même, parfois, ils changent de monde. Alors, May rêve à un monde meilleur que le sien. Sans savoir qu'ailleurs dans l'Extension, des gens cherchent le Voyage - et que le monde que May imagine est peut-être leur destination finale...On se sent aussitôt dans un autre monde à la lecture de ce livre, et pas qu'à cause des titres de chapitre, à base de "May - Monde 1 - 2022" par exemple. May le Monde, c'est avant tout un langage à part, venu d'ailleurs... ou plutôt construit avec un certain talent et une cohérence non moins certaine. Michel Jeury parvient à être à la fois exotique et transparent dans ses intentions de vocabulaire. Cela demande un petit temps d'adaptation et confère au livre une touche discrète d'inquiétante étrangeté, pas trop non plus si bien que l'on n'en vient pas jusqu'à l'exaspération : voilà un travail bien dosé qui établit aussi, à sa façon, certaines règles du jeu.
Mais quel jeu ?
May est atteinte d'une maladie grave. Même si, dans son monde semblable au nôtre et pourtant différent, la philosophie et la religion, façonnées par le Changement et la possibilité des Voyages entre les monde, ont donné lieu à des sciences nouvelles (l'égologie et la mondologie), la biologie reste valable et cruelle aux enfants malades et à leurs rêves. D'emblée, on perçoit la villégiature de May comme un véritable enfermement sans début bien délimité ni fin. De sa vie "d'avant", quelques rares indices qui ne semblent guère concluants. Par contre, ce "monde en réduction" où elle vit et rêve est soumis à une dégradation de plus en plus inquiétante. Le péril associé à la présence d'un prédateur, puis celui de contaminants biologiques et enfin celui de la raison d'Etat rappellent que May est en sursis.
A moins que...
Entre les différents moments où l'on explore avec May son univers familiers, moments de plus en plus inquiétants et même angoissants, on est confrontés à d'autres réalités. D'autres vies. D'autres mondes. Ceux où des gens doivent lutter contre un pouvoir oppressif. Et où le Changement lui-même est source de souffrances. De ces passages, qui sont somme toute les plus troublants du livre, Michel Jeury semble presque avare. Comme si, en fait, pour comprendre l'Extension il suffisait de se laisser tirer en avant par la main de May. Une main de démiurge.
Il y a là-dedans quelques allusions à des grands maîtres du fantastique et de la SF. Une citation de Borges avant la préface. Une très forte odeur de Dick dans ce concept de Changement - qui m'apparaît comme un autre nom donné à celui de "nature subjective du réel" (vous savez ce que j'en pense). Il y a aussi de l'uchronie, allez, dans cette histoire où Europa, en 1870, est maîtrisée par une triple alliance entre les équivalents de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne. C'est aussi un livre-univers, au sens premier du terme, avec son langage et ses concepts d'une extrême robustesse.
Mais en fin de compte, où au juste l'auteur nous emmène-t-il au terme de ce voyage aussi inquiétant que déroutant ?
Si vous avez une explication, je serais curieux d'en prendre connaissance...
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