Bienvenue à Gattaca

Dans le cadre de sa première soirée, le Festival de SF de Lyon organisait une double séance de cinéma sur le thème "rétrofuturs". Le premier film présenté n'était autre que le Bienvenue à Gattaca de Andrew Niccol dont j'ai déjà parlé en ces lieux, il y a quelques mois, dans ma chronique du film Time out.
Résumé :
Un futur pas très lointain où la biologie rend possible la sélection, après conception, de véritables surhommes génétiques. Le législateur, dépassé, a proclamé l'interdiction de la discrimination génétique - mais les employeurs contournent l'interdiction par tous les moyens, s'assurant ainsi les services des Valides... cependant que les In-Valides, eux, sont cantonnés aux tâches les plus ingrates quand ce n'est pas à la marginalité. Vincent est un In-Valide : prédisposé aux affections cardiaques, il n'a que 1% de chances de vivre au-delà de l'âge de trente ans. Vincent rêve d'espace et de participer au programme de Gattaca, dont les fusées décollent sans relâche dans l'entreprise dantesque d'exploration du système solaire. Mais Gattaca est une entreprise réputée pour ne sélectionner que la crème des Valides. Alors Vincent triche : il va endosser l'identité de Jérôme, un Valide cloué à un fauteuil roulant suite à un accident de voiture. Quelques années plus tard, Vincent, que tous prennent pour Jérôme, est devenu un navigateur de première classe à Gattaca et il reste une semaine avant le décollage de sa mission vers Titan. Hélas, un meurtre est commis à Gattaca - et voilà que Vincent, qui a perdu un cil à proximité du cadavre, est soupçonné par un policier tenace...
Bienvenue à Gattaca est un de ces films dont la puissance permet de les élever, dès leur sortie, au rang de classique. Je l'avais vu deux fois au cinéma lors de sa sortie (en 1998, ça fait un bail !) et j'avais déjà perçu toute sa qualité. Bienvenue à Gattaca, c'est d'abord une image, construite à coups de jeux de lumière, avec d'étranges choix architecturaux et technologiques (la DS-19 électrique, il fallait y penser) mais aussi sur une esthétique où les corps des Valides apparaissent d'une propreté à la fois maniaque et organique. Ce monde qui nous est décrit est un monde trop propre pour être vrai. Trop propre pour être honnête. Un monde où les tons blancs ne sont qu'un rappel lancinant des blouses blanches médicales : un système où la reproduction humaine a été mécanisée, artificialisée à l'extrême, et où les bonnes intentions (vouloir tirer "le meilleur" des embryons humains obtenus par FIV) ne font que conduire à l'Enfer aussi bien les In-Valides que les Valides. L'espèce humaine, dans Bienvenue à Gattaca, semble proche de sa date de péremption, et les Valides - dont la solidité physique ne doit pas dissimuler la faible variabilité génétique - ne sont pas du tout le noyau d'une espèce post-humaine : tout au plus les ultimes produits d'une culture psychopathe.

Bienvenue à Gattaca est en effet une dystopie d'une extrême cruauté. Les In-Valides ont un sort peu enviable alors qu'ils n'ont enfreint aucune loi - sinon celle de la "nouvelle normalité"... Leur place dans la société n'est plus garantie et l'on comprend qu'ils gênent plus qu'autre chose - et pour un pianiste virtuose à douze doigts, combien d'éboueurs et de clochards dans leurs rangs ? Le pire, c'est bien sûr que comme dans toute bonne dystopie qui se respecte, cette saloperie est mondiale. Jérôme, dont Vincent va prendre l'identité, vient d'un autre pays, mais il a subi comme beaucoup d'autres cette étape de sélection génétique. La relation entre les deux hommes, véritable association de malfaiteurs, est cependant marquée par une franche camaraderie : l'In-Valide tricheur et le Valide... invalidé (!) ont établi une espèce de symbiose, le vrai Jérôme offrant à Vincent les sous-produits de son organisme nécessaire à son identification par les machines biométriques d'un Etat quasi-policier (sang, cheveux, peaux mortes et urine), et Vincent offrant à son complice reclus quelque chose de plus immatériel mais, peut-être, de plus précieux, à savoir son rêve.

Le film parvient à distiller l'angoisse de bien des façons, car on perçoit bien le danger qui pèse sur Vincent : sa tricherie le met en première ligne pour être la victime collatérale d'un meurtre qui l'arrange un peu. Angoisse distillée par des scènes où les deux acolytes, chacun de son côté, doivent jouer en même temps le même rôle. Angoisse qui monte lorsque le flic si acharné à pourchasser Vincent se révèle rien de moins que... son propre frère, et donc l'un des rares à pouvoir établir le lien entre les traits du visage de Jérôme et ceux de Vincent. Angoisse qui se résout, à la fin du film, à travers une superbe révélation. Jérôme et Vincent apparaissent alors comme, en réalité, un personnage à deux têtes - ou bien n'y en a-t-il qu'une seule ? Un personnage dont le destin sera marqué, à tout jamais, par une dimension sacrificielle : pour s'accomplir, Vincent a dû couper tous les ponts. Pour aider Vincent, Jérôme aura dû au préalable perdre ses jambes... Andrew Niccol nous livre ici un "rétrofutur" sombre malgré sa luminosité presque aveuglante, et sale bien que les corps y soient aseptisés jusqu'à la torture : une dystopie confinant à l'oxymore et dont la conclusion, douce-amère, apporte une once d'espoir. Car en fin de compte, un monde où des surhommes sont capables de reconnaître la supériorité d'un être humain ordinaire n'est-il pas un monde où il est permis d'espérer ?

Voir aussi l'avis de Guillaume Stellaire.

Commentaires

Gromovar a dit…
Ouaip. C'est un véritable chef d'oeuvre que je revois régulièrement avec plaisir.
Anudar a dit…
De mon côté ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu...
Guillmot a dit…
Un très bon film, j'en garde un excellent souvenir.

http://www.traqueur-stellaire.net/2010/06/bienvenue-a-gattaca-andrew-niccol-1997/
Lorhkan a dit…
Parile que tout le monde ici : un excellent film que tu me donnes envie de revoir, car cela fait bien longtemps...
Efelle a dit…
Je me joint au choeur, un très bon film. Faudra que je le revoie dans les mois à venir.
Endea a dit…
Je ne l'ai jamais revu mais j'avais énormément aimé, un excellent film.
Anudar a dit…
@tous : on est donc bien d'accord !
Anudar a dit…
Je t'ai lié :) !
XL a dit…
il est dans mon top ten ! mais tu me donnes envie de le revoir
d'autant qu'on n'en est vraiment pas loin : dans le cadre de la semaine du film scientifique, j'ai vu un documentaire (point de départ les prothèses) qui donne froid dans le dos
Tigger Lilly a dit…
Je plussoie les autres. Le genre de film dont je serais prête à acheter le blue ray ou le DVD. D'ailleurs faudrait que je me le procure XD
Blop a dit…
Les autres ont déjà dit mon avis sur ce film, mais j'ajouterai une chose : je trouve que tu en parles très bien ! Bravo pour cette jolie chronique.
Vert a dit…
Je l'ai enfin vu il y a très peu de temps, j'ai beaucoup aimé aussi. C'est très sobre dans la réalisation ou les décors, et j'ai beaucoup aimé le côté très intimiste de l'histoire (le film "normal" aurait raconté une mise à bas du système et une grande révolution, là c'est juste un gars qui arrive à ses objectifs malgré tout ^^).