Forteresse
Un livre d'un auteur dont je n'avais encore jamais entendu parler. Il m'a été proposé par l'éditeur, afin de préparer un événement auquel je pourrai peut-être (j'espère) participer : on verra bien... Mais dans l'immédiat, place à la chronique !
Résumé :
Dans un futur pas trop lointain, les firmes supranationales contribuent désormais à dessiner une carte géopolitique toujours animée. Les Etats-Unis ont disparu : leur ont succédé la République libre de Californie, la cité-Etat de New-York et surtout l'Union des Etats Bibliques Américains. En Europe, les violences de la Correction s'éloignent mais restent dans toutes les mémoires : une guerre civile où des musulmans intégristes ont tenté de prendre le pouvoir dans plusieurs pays. Dans un monde remodelé, il semble bien que les pouvoirs dominants ne soient plus ceux des Etats mais bel et bien ceux des supranationales : leurs dirigeants sont souvent plus influents que les chefs d'Etat - et à ce titre, ils sont aussi parmi les plus menacés. Brian Mannering est le président de Haviland, l'une des plus puissantes supranationales. A ce titre, pèse sur lui une sentence de mort : les "bibleux" américains souhaitent voir disparaître Haviland. Ils ont déjà réussi à éliminer son prédécesseur, en même temps que la famille de Mannering. Clayborne dirige l'armée privée chargée de la défense du président et, à ce titre, il recueille en permanence les menaces qui pourraient peser sur lui. On lui apprend un jour que les "bibleux" ont déclenché contre Mannering une opération d'élimination, dont seul le nom de code est connu : Ghost. Or, au même moment, le président s'entiche d'une nouvelle maîtresse - et le flair de Clayborne éveille ses soupçons...
L'auteur nous propose ici l'une de ces fictions des jours à venir où la neutralisation des Etats par les pouvoirs économiques devient une réalité. Neutralisation, ou affaiblissement par morcellement, ou disparition, les Etats deviennent en quelque sorte des gardiens de "traditions" différentes selon le pays... La politique en tant que tradition, voilà une évolution qu'il ne me tarde pas de voir se dessiner : entre le marrant (comme cette communauté suédoise, organisée selon des principes attribués à Olaf Palme, où des gamins qui jouent avec des jouets guerriers sont envoyés chez des psys) et le sinistre (le pouvoir des révérends américains, qui ont une conception très personnelle de la notion de realpolitik) les Etats sont tombés bas. Très bas. Surtout lorsque leurs populations, à coups de malbouffe, se retrouvent à devoir utiliser des youpalas pour se déplacer en toute tranquillité : dans Forteresse, 89 % des américains sont obèses en 2039.
Dans un univers qui semble ignorer toute notion de crise écologique, évacuée peut-être par le miraculeux traitement dépolluant mis au point par le fondateur de Haviland, le "grand jeu" se joue donc entre supranationales, perturbé - un peu - par les velléités américaines bien rétrogrades. Un "grand jeu" où les mauvais coups se trament toujours dans l'ombre. Et c'est là que la technologie vient démultiplier l'art du coup fourré entre grandes puissances. L'opération Ghost représente un bel argument science-fictif - non, en fait, plutôt deux. D'un côté, l'aspect "gadget" qui fleure bon la SF "à l'ancienne mode". De l'autre, la profondeur de l'esprit et les méthodes permettant de le manipuler. Entre les deux, il est clair, à la fin, que l'auteur privilégie le deuxième : il y a là-dedans quelque chose de dunien.
L'arrière-plan du livre, s'il est construit avec un soin minutieux, me semble pourtant à même de soulever la controverse. L'ami Gromovar m'a dit avoir trouvé ce contexte intéressant à cause de son caractère "politiquement incorrect" (je suis prêt à lire le Lovecraft de son choix séance tenante si je déforme ses propos). L'expression n'est pas usurpée : à notre époque, décrire un monde futur où la "guerre des civilisations" correspond à un fait historique, c'est peut-être casse-gueule, et en tout cas, c'est osé. Un détail qui vient terminer le tableau d'un futur pétillant à première vue mais en rien réjouissant : quelque chose de presque dystopique, en fait. Mais une dystopie qui serait racontée sur le mode du thriller : un thriller bien mené, qui vole de point de vue en point de vue ainsi que d'année en année, le passé ayant son rôle à jouer dans l'éclairement final de toute l'intrigue...
Un roman qu'il faudrait lire deux fois, comme le suggère la quatrième de couverture. Je ne sais pas si je le ferai ; par contre, plutôt emballé par celui-ci, je vais me pencher sur sa préquelle, Heptagone... aussitôt que j'en aurai le temps.
Ne pas manquer aussi l'avis de Gromovar.
Commentaires
Je ne connaissais pas cet auteur mais cela semble intéressant. Je vais le mettre dans ma liste...
La face politique évoque énormément un aspect du genre cyberpunk (l'affaiblissement des états nations, la montée en force des grandes entreprises assimilées à des "puissances néo-féodales").
La régionalisation des communautés groupées autour de certaines règles est également un aspect poussé par Neal Stephenson en son temps (l'age de diamand, snow crash...). A ce propos, j'ai parfois l'impression que l'on a un peu oublié cet auteur vraiment très intéressant.
Cela reflète une considération bien à la mode dans les années 90-2000 : je me souviens de mon prof de sciences politiques et administratives qui nous parlait de forces centripètes et centrifuges tirant le cadre des états nations vers le haut avec des formes de fédérations "arbitres des règles de jeu" (création de normes, etc) influencées par du lobbying et de l'autre côté vers le bas avec une régionalisation/relocalisation de la communauté...
En un sens le genre cyberpunk faisait état de romans quasi-dystopiques (avec des aspects dystopiques et une intrigue proche du roman noir, thriller, etc..)
Le cyberpunk m'apparaît moins dystopique, même si plus pessimiste dans le traitement, que "Forteresse" et "Cleer" où l'on est plongés dans un "avenir pétillant" mais quand même bien puant (à mon sens en tout cas).
Je comprends cette étiquette de "corporate fiction" qui m'intrigue par ailleurs. J'espère lire ces deux livres bientôt.
Pour le cyberpunki, il s'agit d'une opinion personnelle mais les sociétés présentées dans ces romans m'effraient autant qu'une dystopie classique.
En tout cas merci pour l'éclairage sur cet ouvrage. J'y retrouve certaines thématiques qui m'intéressent.
Mais de rien pour l'éclairage :) !
Je suis passée à côté de l'occasion de le lire faute de temps... Je suis bien punie !
Je rejoins aussi le commentaire de Chris : c'est vrai que Neal Stephenson est un peu passé à la trappe depuis plusieurs années. Son Cryptonomicon était diablement intéressant. Mais je crois que ses thématiques ont vieilli, c'est sans doute pour cela qu'il est moins populaire.
A l'occasion, faudrait que je me penche sur Neal Stephenson. Mais le cyberpunk ne m'attire pas trop, en fait...
Ha les youpalas ... J'avais des images de bébés énormes dans la tête quand je lisais c'était horrible.