Flashback
Lors de la rencontre avec Georges Panchard, il a été question à un moment de ce livre du célèbre Dan Simmons (Les Cantos d'Hypérion et la dilogie Ilium/Olympos, entre autres). Je ne l'avais pas encore lu mais je prévoyais d'ores et déjà de me pencher dessus... C'est à présent chose faite.
Résumé :
Nick Bottom est une épave, un ex-flic viré de la police à cause de son addiction au flashback, une drogue permettant de revivre à l'identique les souvenirs de son choix. La plupart des Américains se changent peu à peu en épaves, eux aussi : en 2035, les Etats-Unis se disloquent tout comme le monde et de plus en plus de gens préfèrent leurs souvenirs à la dégradation qui les entoure : au Sud, le Nuevo Mexico a entrepris la reconquista et lorgne sur la Californie ; au Nord, le Canada subit peu à peu le sort des pays d'Europe et sombre aux mains du Califat Global. Nick Bottom est un jour convoqué par un magnat japonais, l'un des réels détenteurs du pouvoir dans son univers défaillant : six ans plus tôt, il a déjà enquêté sur le mystérieux assassinat de son fils et, l'enquête n'ayant toujours pas abouti, Nakamura veut qu'il résolve l'énigme, à l'aide du flashback s'il le faut... A la clé, une somme considérable, qui lui permettra de passer le reste de ses jours ou presque dans un flashodrome, à revivre à jamais les moments de bonheur qu'il a vécus avant le décès de sa femme Dara. Nick ne le sait pas encore, mais cette proposition qu'il ne peut refuser pourrait bien l'amener à changer son monde...En 2001, au début du cycle des années gâchées dont nous commençons, peut-être, à nous extraire, j'ai entendu parler pour la première fois du "choc des civilisations" de Sam Huntington. L'expression avait alors acquis une nouvelle actualité ainsi qu'un certain parfum de soufre. Ici, Dan Simmons imagine un futur où le "choc des civilisations" est en train d'avoir lieu. Dans cette année 2035, l'Occident est en train de faire défaut, ruiné par la crise économique, un temps dépassé par le come-back de la Russie de Poutine, mais depuis quelques temps à la remorque du Japon en pleine involution vers le shogunat. L'adversaire principal, pour ne pas dire l'ennemi, c'est pourtant ce fameux "Califat Global" centré sur Téhéran et qui dispose, dans ce futur peu reluisant, d'un colossal arsenal nucléaire. Pendant que les G.I.'s, devenus des mercenaires à la solde du Japon et de l'Inde, meurent sur les champs de bataille d'une Chine que Simmons décrit au détour d'une page comme déchirée entre les seigneurs de la guerre, les wetbacks ont passé le Rio Grande. Par millions. En fait, ce qu'il subsiste des Etats-Unis "d'avant", c'est la République du Texas redevenue indépendante et qui trie avec soin les réfugiés venus des autres Etats de l'Union décomposée.
Une hypothèse science-fictive ne vaut a priori ni plus, ni moins qu'une autre - dans la mesure où elle permet à l'auteur d'écrire un bon livre : songez à Rêve de Fer, de Norman Spinrad... Il convient donc de lire Flashback en laissant sa chance à cette hypothèse pour se demander, ensuite, si ce livre est un bon livre. On se rend compte, après lecture, que Flashback est un véritable page-turner, tout à fait conforme à ce que l'on connaît par ailleurs du talent de Dan Simmons pour associer des idées fort différentes : Shakespeare, cyberpunk, et bien sûr culture américaine avec les citations de moult films hollywoodiens (j'ignorais, au passage, que Mad Max est australien) et l'inévitable road-movie sur des autoroutes morcelées. Non, deux road-movies, en fait. Une culture américaine qui périclite dans le flashback, cette drogue qui constitue l'épine dorsale du roman jusque dans son titre... Des éléments, des événements, qui semblent tout droit sortis du passé des Cantos d'Hypérion... Un livre qui surprend. Jusqu'au bout.
A la sortie de cette lecture, si je suis assez satisfait, je reste quelque peu dubitatif. Cet acharnement des Américains à imaginer la ruine de leurs chères institutions m'apparaît presque pathologique : j'y vois le travers d'une culture jeune qui n'a jamais connu de bouleversement politique majeur depuis 1776, la Guerre de Sécession n'ayant été - du point de vue politique et juridique - qu'une opération de police... Alors que dans le même temps notre pays, la France, a connu quant à lui pas moins de dix régimes (si je compte bien) et deux occupations étrangères... Le flashback, drogue en vogue dans le futur délabré d'un pays qui n'a pas d'Histoire : c'est osé. A ce titre, la fin du livre, ambiguë et inquiétante, n'est pas sans faire questionner sur la nature du réel - avec une efficacité bien plus grande que les artifices de Dick. Et tant pis pour les considérations d'ordre socio-politiques émaillant Flashback : somme toute, on peut les prendre pour ce que je pense qu'elles sont, à savoir, des hypothèses science-fictives...
Lire aussi les avis de Guillaume et de Gromovar.
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