L'Histoire sans Fin
Après avoir Samedi dernier revu la première adaptation filmée du livre de Michael Ende, je me suis dit qu'il était temps de chroniquer enfin ce livre que j'ai lu, puis relu, à des époques fort différentes de mon existence. En version française d'abord quand j'avais onze ans. Puis en version originale, un beau livre offert par une ancienne professeure d'allemand, présentant quelques particularités - à commencer par des illustrations magnifiques, mais aussi écrit avec deux encres de couleur différente, une rouge et une verte, en fonction du monde où se situe l'action décrite... Je vous en aurais bien fait une photo pour démonstration mais je n'ai pas été capable de le détecter dans mon grenier. Faudra que je le recherche. A la place, je vous invite à cliquer sur ce lien où quelqu'un qui a eu la même idée que moi présente une photo du livre ouvert... Et place à la chronique !
Résumé :
Bastien Balthazar Bux a onze ans. Orphelin de mère, élève très moyen, il est un peu enveloppé, mauvais en gymnastique et poltron sur les bords. Un jour, harcelé par des camarades de classe, il se réfugie dans la librairie de monsieur Koreander, où presque sans le vouloir il vole un livre précieux intitulé L'Histoire sans Fin. Pour Bastien, c'est le début d'une étrange aventure : dissimulé dans le grenier de son école, déterminé à ne plus se montrer avant d'avoir fini ce livre mystérieux, il découvre Fantasia, un monde rongé par le Néant, dont la petite Impératrice ne peut plus assurer la sauvegarde et envoie un jeune peau-verte, Atréju, à la recherche du remède qui pourra les sauver, elle et son immense empire... Mais Bastien, peu à peu, se rend compte que le sauveur cherché par Atréju n'est autre que lui-même et que le livre qu'il lit contient sa propre histoire... Quel sera le prix à payer s'il guérit la petite Impératrice ? Pourra-t-il un jour quitter Fantasia et revenir à sa véritable existence ?
J'ai eu l'occasion de dire que le premier film adapté depuis ce livre ne reprenait en fait que la première partie de l'oeuvre originale, à savoir, la fameuse quête d'Atréju. Première partie qui correspond à peu près à un gros tiers du livre, et qui comporte quelques péripéties absentes du film. L'ensemble des scènes-pivot se situant dans les marécages de la mélancolie est quelque peu différent et permet à l'auteur de démontrer le pouvoir de l'Auryn, cette amulette en double ouroboros qui est à la fois l'emblème et la clé de Fantasia. Le pathétique de la mort d'Artax, le cheval d'Atréju, est atténué ici. En revanche, la rencontre avec Fuchur (Falkor dans le film) est très différente puisqu'Atréju scelle son amitié avec lui en le sauvant d'un monstre - une situation renversée par rapport au film. Le passage concernant l'Oracle du Sud, lui aussi, présente quelques différences et surtout, prépare la deuxième partie du livre : la scène du miroir magique où Atréju distingue l'image de Bastien, et où donc ce dernier lit sa propre description dans le livre, est bien plus compréhensible que celle du film, et peut-être aussi plus troublante. En faisant d'Atréju le seul être vivant à Fantasia qui ait vu le visage du "sauveur", il en fait un acteur majeur de la suite de l'histoire, celle où Bastien cherche à s'imposer comme héros véritable de ce monde où il a été transporté, plus ou moins contraint et forcé.
Mais venons-en à cette fameuse deuxième partie où Bastien se retrouve perdu dans un monde où il dispose néanmoins d'un pouvoir extraordinaire, celui de donner à ses souhaits la consistance du réel. Cette fois-ci, Atréju est un peu relégué au deuxième plan, et Bastien fait l'expérience de sentiments très humains en ce monde très inhumain. D'abord, il se défait de son ancienne apparence qu'il déteste : le voilà devenu beau et fort. Ensuite, il lui faut des amis : revoilà donc Atréju et Fuchur. Peu à peu, les désirs de Bastien deviennent moins anodins et il exprime de plus en plus une volonté de puissance qui l'amène au bord du désastre. De la même façon que le Néant absorbait les êtres de Fantasia pour les transformer en mensonges dans le monde réel, voilà que pour alimenter ses désirs de plus en plus sinistres Bastien détruit ses propres souvenirs. Or, quand il n'en aura plus, il ne lui sera plus possible de retrouver le chemin de son propre monde. La leçon de Michael Ende possède ici une grande valeur : ce sont les souvenirs qui fondent l'identité. Ce sont les rêves qui forgent l'adulte que l'enfant cherche à devenir. Et pour savoir ce que l'on désire pour de vrai, il existe plusieurs chemins dont tous ne sont pas très directs.
Cette deuxième partie, si elle comporte somme toute moins de scènes d'action, n'en est pourtant pas moins prenante et angoissante que la première. Elle conforte Bastien dans son rôle de véritable héros, bien plus faillible et donc bien plus humain, à tous les sens du terme, qu'Atréju lui-même. Ce dernier, en fait, n'est rien d'autre que son avatar dans Fantasia, l'image de lui-même tel qu'il souhaiterait l'être, une image que Bastien va tenter de copier, puis de dépasser, puis de détruire lorsqu'il comprendra qu'il doit vivre tel qu'il l'est : Michael Ende livre ici une belle métaphore du passage à la maturité. Avec tout ce qu'il a vécu lorsqu'il parvient à revenir dans son propre monde, Bastien a grandi (comme son père ne manque pas de le comprendre à la fin), et le jeune lecteur avec lui, bien plus en tout cas que ces élèves qui déclarent à l'envi "je suis mature" (en retenant le gros "MERDE" conclusif auquel ils ont pensé très fort, parce qu'ils se doutent que ça ne leur permettrait pas d'atteindre mieux l'effet recherché). La maturité ne se proclame pas : c'est un état qui est reconnu. Par les autres. Ceux vers qui Michael Ende nous montre donc le chemin, "von A bis Z" : merci.
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