Du Sel sous les Paupières
De Thomas Day, j'ai jusqu'ici chroniqué deux nouvelles sur ce blog. J'ai eu l'occasion de lire de lui auparavant La Voie du Sabre et L'Homme qui voulait tuer l'Empereur, deux romans se déroulant dans un Japon uchronique. Avec Du Sel sous les Paupières, il propose une uchronie à tendance fantasy (mâtinée même de steampunk d'après la quatrième de couverture), si j'ai bien compris dédiée à son fils.
Résumé :
Judicaël vit à Saint-Malo, chez son grand-père. En 1922, la Grande Guerre, qui a duré sept ans, vient tout juste de finir. Elle a laissé derrière elle un brouillard impénétrable qui recouvre l'Europe, empêche la perception des couleurs et tue peu à peu la vie végétale. Pour Judicaël, dont le père est mort à la guerre, la vie est faite de petits boulots et de rapines pour se procurer ce qu'il faut pour survivre dans un monde délabré. Un jour, sur le marché, il rencontre Mädchen, une jeune fille de son âge, dont il tombe amoureux, mais qui disparaît presque aussitôt. A-t-elle été enlevée par le Rémouleur, cet étrange avatar du croquemitaine qui rôde en ville ? Ou bien sa disparition est-elle liée aux mystérieuses recherches que l'armée fait réaliser dans l'usine marémotrice de la Rance ? Judicaël ne le sait pas encore, mais sa quête sous le brouillard de guerre va le conduire jusqu'à la source des mythes d'une Europe déchirée...Il s'agit d'un roman très étrange, divisé en trois parties dont chacune évoque très volontiers l'un des trois genres énumérés dans la quatrième de couverture. Uchronie d'abord, steam- (voire même radium- !) punk ensuite et fantasy enfin. L'association des genres se fait par strates et, si elle peut surprendre, n'est pas sans être assez naturelle, en fin de compte. Judicaël fait l'expérience d'un monde hostile, peuplé de forces qui le dépassent - et dont toutes ne sont pas humaines... ni même toujours hostiles.
Comme dans toute uchronie qui se respecte, quelques personnages historiques font leur apparition. "Mongénéral" en personne, dont la carrière s'arrêtera ici au grade de colonel, n'est pas le moindre. Le nom du Baron rouge est cité au détour d'une page, où l'on croit comprendre que, si la Première Guerre Mondiale a fini plus tard que prévu, l'Allemagne va aussi devenir une dictature plus tôt que prévu. Et peut-être bien qu'un Victor Hugo changé en "ogre" a conservé ses quartiers à Hauteville House, à Guernesey... L'Histoire pèse donc sur ce conte, mais pas qu'elle : peu à peu s'y infiltrent les mythes européens et en particulier celtiques. On pense à La Forêt des Mythagos de Robert Holdstock et à l'influence des figures mythologiques sur le flux de l'Histoire. On frémit à l'évocation, par la Reine des Elfes, du destin tragique de cette Europe qui est en train de découvrir l'arme nucléaire avec vingt ans d'avance.
Le conte est sombre et chargé de nostalgie. C'est néanmoins là, je pense, une belle pièce de poésie qui nous est offerte par Thomas Day : merci.
Commentaires
Après s'il s'agit d'une sorte de conte, il y a forte chance que cela me plaise.
Je trouve ce conte cruel, c'est vrai, mais plutôt, peut-être, pour le monde où vivent les personnages principaux que pour les personnages principaux eux-mêmes... C'est en tout cas une pièce très originale. J'espère que le petit Judicaël saura l'apprécier, le moment venu.