La Complainte des Landes perdues

Une série que je suis depuis très longtemps, mais dont le faible rythme de parution m'a empêché d'en parler sur mon blog pour le moment : le dernier tome paru remonte en effet à 2008, soit donc deux ans avant l'ouverture de la Grande Bibliothèque...

Résumé :

Le Guinea Lord, serviteur des forces du mal, a échoué : la fée Sanctus, une Morigane repentie, a pu s'échapper, en cela aidée par le Chevalier du Pardon Sill Valt et son novice, le jeune Seamus. Saavarda, la Mater Obscura des Moriganes, le soumet à l'épreuve du feu pour purger son être de tout ce qui lui reste d'âme humaine avant de le renvoyer sur la trace de la fée, qui représente pour l'ancienne race de créatures démoniaques un terrible danger. Au temple des Chevaliers, Seamus est sur le point de connaître son initiation. Lui et Sill Valt vont se séparer, peut-être pour la dernière fois : l'ancien novice reçoit du supérieur de l'ordre la mission de retrouver la fée Sanctus avant le Guinea Lord, tandis que le Chevalier, lui, devra chercher le moyen de rendre sa vulnérabilité à l'exécutant des Moriganes...

Quatre ans de délai pour la parution d'un nouveau tome, c'est long, et je dois avouer que cela correspond à une durée à même de défier la mémoire... même en parlant de la mienne. Les concepts de la série restent toujours aussi nets dans ma tête : dans un Haut Moyen-Âge fantasmatique (mais pouvant néanmoins presque s'insérer dans notre flux historique), les Chevaliers du Pardon cherchent à enraciner le christianisme sur une terre (l'Eruin Dulea, sans doute celtique : ancienne Bretagne, celle que l'on appelle désormais "Grande" ? Irlande ?) où jadis, les Moriganes (des êtres humanoïdes et reptiliens, capables de changer d'apparence, jusqu'à présent, toujours femelles et alliées en tout cas au mal) ont régné en maîtresses. La lutte entre Moriganes et Chevaliers se superpose, de toute évidence, à des enjeux de pouvoir très politique. L'Eruin Dulea est un royaume féodal où les clans possèdent une très confortable indépendance - et sont même en mesure de refuser les chartes royales. Certains clans sont par conséquent acquis aux Moriganes... sans pour autant refuser d'accueillir les Chevaliers du Pardon. Dans un monde où des créatures monstrueuses rôdent dans les bois, mieux vaut en effet pratiquer la realpolitik...

Le schéma de cet album semble on ne peut plus limpide et binaire. Sill Valt reste en retrait, lancé dans sa quête pour éliminer le Guinea Lord, et sans nul doute condamné par le Cryptos - le démon que les Chevaliers tiennent prisonnier afin de lui arracher des informations. C'est donc Seamus qui s'affirme ici comme le véritable héros de l'histoire : une étoile montante, possédant d'étonnants pouvoirs - et surtout, amoureux de la fée Sanctus qu'il a contribué à sauver dans l'épisode précédent. Sa quête, au contraire de celle de Sill Valt, semble triviale : il doit protéger la fée contre les Moriganes... Et pour cela, il devra la trouver avant elles : malheur à qui se mettra sur son passage. C'est à ce point que le personnage, qui ne serait sinon qu'un simple avatar de héros infaillible, gagne une dimension grise tout à fait intéressante. Les Chevaliers du Pardon, ordre se présentant comme voué au bien, forme des êtres inflexibles et redoutables dans leur détestation pour l'impureté : c'est sans aucune hésitation que Seamus parvient à se couler dans le moule. Un moule produisant un ordre capable d'invoquer un démon dans le but de lui extorquer de l'information... et dont les membres les plus éminents prédisent que Seamus lui-même trahira.

Les auteurs réussissent donc le tour de force, au fil de cette histoire, de nous parler de lutte entre le bien et le mal sans tomber dans le manichéisme. Parviendront-ils à nouer leur intrigue avec celle du cycle Sioban dont celui-ci est la préquelle tout en conservant la même ambiguïté ? Nous jugerons sur pièces...