L'Incal noir
J'ai eu l'occasion lors de la précédente édition du Summer Star Wars de chroniquer plusieurs pièces de l'Incaliverse, à commencer par la série Les Technopères. Pour la nouvelle (et dernière ?) édition du challenge estival du RSFBlog, il m'a paru tout à fait approprié d'en revenir aux sources de l'immense univers de space-op' inventé par Jodo - peut-être, ou sans doute, suite à l'échec de son projet d'adaptation de Dune...
Résumé :
A Suicide-Allée, un homme est en train de se faire passer à tabac par les tueurs masqués de l'Amok. John Difool, minable détective privé de classe "R", s'est en effet trouvé par hasard en possession d'un objet inestimable qui ne paye pourtant pas de mine... En apparence une "simple" pyramide en cristal, une observation guère plus soigneuse pourrait faire prendre sa trouvaille pour un ordinateur photonique très perfectionné. Pourtant, l'Incal lumière est bien plus que ça - et surtout autre chose, car son contact transforme les êtres vivants et leur donne des pouvoirs inconnus en cette ère de haute technologie. Dans les sous-sols de la Cité-Puits tout comme dans le palais flottant où le Prez vient de se faire cloner une fois de plus, la poursuite commence... Et il se pourrait bien qu'en plus des sbires de l'Amok et des bossus du Prez, d'autres forces soient après John Difool. Saura-t-il s'échapper ?J'ai eu l'occasion de raconter ailleurs les circonstances de ma rencontre avec L'Incal, que je considère comme l'un des monuments de la BD SF adulte et comme ce qui est sans doute le chef-d'oeuvre scénaristique de Jodo. A la relecture complète (pour la première fois depuis 1996 : la vache !) bon nombre d'idées se font jour, prouvant toute la richesse de l'oeuvre et surtout sa complexité. A ce stade de l'intrigue, L'Incal est un space-opera encore incertain même si l'intrusion de la mystérieuse race extraterrestre des Bergs, appelés à jouer un rôle central dans les volumes suivants, permet le classement définitif de l'oeuvre dans un genre. D'ores et déjà, la plupart des thèmes de la série, et même de l'univers, sont présents et sont traités avec un très bon naturel, ne laissant pas au lecteur le temps de souffler. Cette ville-puits décadente, contrôlée (?) par un autocrate n'ayant de "prézidentiel" que le nom, et dont les sous-sols sont rongés par un lac d'acide verdâtre. Une télé omniprésente et obscène, guère plus trash que la nôtre. Un petit peuple qui s'abandonne aux plaisirs tarifés que sont le SPV mais aussi les homéoputes dont le client peut définir le moindre détail de l'apparence. Un personnage minable, cradingue, véritable anti-héros à ce stade de l'histoire et pas rien qu'à cause de son statut très, très bas. L'Incal noir se caractérise aussi par l'apparition des premiers alliés de John Difool, même s'ils n'ont pas encore identifiés en tant que tels. Deepo, bien sûr, la petite mouette à béton parlante qui se montre parfois plus fûtée que son maître. La Reine de l'Amok. Kill Tête-de-Chien. Le fameux Méta-Baron qui aura droit, par la suite, à une série dérivée à mon avis pas indispensable. Et Solune, entrevu au fond d'une prison-aquarium, encore un personnage secondaire, objet du chantage exercé sur le Méta-Baron...
Dans cet album se trouve en fait en germe tout l'Incaliverse, ni plus ni moins. La scène de la séparation de John Difool en quatre morceaux, et donc en quatre fragments de conscience dont chacun évoque l'un des quatre éléments (air pour la tête, eau pour la poitrine, feu pour le bas-ventre et terre pour les jambes) semble annoncer déjà les développements symboliques de la suite de la série : la SF se mâtine ici d'images ésotériques et peut-être même mystiques. Quant au Méta-Baron, il n'est pas (encore) présenté comme le combattant ultime mais bel et bien comme le mercenaire le plus redoutable de tout le système... Comme quoi, Jodo n'avait sans doute pas encore imaginé (découvert ?) l'ampleur de son propre univers lors de l'écriture de L'Incal noir. A ce stade de l'intrigue, il serait bien difficile pour le primo-lecteur de savoir où au juste on va l'emmener, même si l'amorce du conflit dans la Cité-Puits et l'accent mis sur la présence des Bergs peut laisser supposer un conflit interstellaire en germe. Après tout, cet album n'a-t-il pas été imaginé au plus fort de la première furie Star Wars ?
L'album est servi par l'excellent dessin de Moebius, dont la douceur s'adapte fort bien à un scénario inquiétant et adulte. Même si quelques hésitations se font parfois sentir, et si les traits de John Difool semblent avoir quelque peu évolué au fil de la série, on est déjà dans une ambiance et dans un univers bien caractéristiques. Trente ans plus tard, les choix graphiques faits (par Moebius ?) restent bel et bien d'actualité pour le dessin de l'Incaliverse comme en témoigne le projet Final Incal...
Pour une redécouverte, en voici une bonne. Si vous ne connaissez pas, précipitez-vous... Et je crois même que j'irai jusqu'à m'offrir l'intégrale sortie depuis peu. L'Incal vaut bien ça...
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