L'Incal lumière
Après m'être penché hier sur L'Incal noir, premier volet de la série de space-op' de Moebius et Jodo, je me propose de chroniquer dans la foulée la suite de L'Incal...
Résumé :
Après avoir eu la surprise désagréable de se faire découper en quatre morceaux puis recoller par les rayons de l'Incal, John Difool s'aperçoit qu'il n'est pas au bout de ses peines. Capturé par le Techno-Pape en personne, celui-ci lui a révélé son intention de lui retirer l'Incal lumière qui se dissimule à présent dans son organisme... grâce à un dépecage en règle ! Mais avant, il convient de lâcher dans le ciel le premier oeuf d'ombre, inquiétante machine par laquelle les Technos comptent bien révéler leur dévotion à leur véritable maîtresse, la Ténèbre... Alors qu'au-dessus de la Cité-Puits le palais du Prez est en position de semi-bouclage et que l'émeute s'aggrave en véritable révolution, les bossus commencent à douter de leur capacité à enrayer la catastrophe... Celui qui tuera John Difool s'emparera de l'Incal lumière le premier : il disposera donc d'un atout maître dans le conflit interstellaire qui s'annonce... Alors qu'un commando Berg et le Méta-Baron en personne s'apprêtent à donner l'assaut à la Cité-Techno, n'y a-t-il rien qui pourrait sauver John Difool ?L'univers futuriste et dystopique mis en place dans le premier tome se retrouve ici presque à l'identique, même si l'intrigue politique est quelque peu mise de côté. La guerre civile déclenchée par l'Amok n'est que peu suivie et tout juste suggérée d'assauts en explosions nucléaires tactiques. L'attention des auteurs se concentre bel et bien sur la survie de John Difool qui, en très fâcheuse posture dès le début de l'épisode, manque de se faire dépecer à trois reprises. Il s'agit là d'un thème qui, dans la série, deviendra récurrent : chaque tome ou presque verra (au moins l'un des) un antagoniste(s) sur le point de se livrer à la dissection, ou déconstruction, de notre (anti-)héros. Le découpage en règle auquel Difool est soumis dans le tome précédent annonce en réalité toutes les autres tentatives en ce sens : derrière ce premier symbole s'en dissimulent bien d'autres. C'est dans le corps du héros, dans ses aptitudes physiques, minables (ou pas), et sa conscience, minable aussi (ou pas...), que se cache la clé de l'énigme cosmique. En le décomposant, puis en le recomposant, ou en interdisant sa décomposition, les protagonistes cherchent à trouver la solution du problème. Jeu de casse-tête biologique dont nous n'avons pour le moment vu que la pointe émergée.
Le lecteur peu intéressé par ces symboles sera néanmoins captivé par la richesse de l'univers décrit au détour de considérations pas encore ésotérisantes. Le petit peuple qui part à l'assaut du palais du Prez évoque bien sûr les révolutions populaires qui secouent le flux historique à intervalles réguliers : comme toujours dans la Cité-Puits, la guerre civile - dont le pouvoir en place sous-estime la portée jusqu'à ce qu'il soit trop tard - est scrutée par une télévision de voyeurs, dont les présentateurs s'affublent de fausses brûlures et de fausses larmes pour faire plus vrai ; même au plus fort de la révolution, les habitudes restent les mêmes et les citoyens restés neutres se planquent dans leurs conapts quoi qu'il arrive, le regard vissé à leur écran... Ce n'est pas d'eux qu'il faut attendre le coup de pied dans la fourmilière mais bel et bien de la théorie de personnages majeurs qui s'organise autour de John Difool : Deepo, le compagnon des premiers instants, le Méta-Baron, mercenaire changé en allié fidèle, Solune, fils adoptif du Méta-Baron désigné par la Reine des sous-sols comme un danger potentiel, Kill-Tête-de-Chien et bien sûr Tanatah, la déjà citée Reine de l'Amok. N'oublions pas, bien sûr, la mystérieuse Animah, l'âme promise à Difool, celle qu'il va pourchasser tout au long de la série de ses attentions moins amoureuses que lubriques. Animah/Tanatah, deux soeurs qui représentent sans doute un autre symbole, cette fois-ci psychanalytique ? Un symbole qui renvoie peut-être à ce foetus siamois, l'Impéroratriz, qui gouverne l'empire humain, constitué d'une moitié mâle et femelle rattachées par le dos, et que l'on ne va cesser de croiser à l'avenir.
Avec la fin de l'album, et la plongée de John Difool et de ses compagnons dans les profondeurs de la planète, s'annonce une nouvelle phase dans l'évolution du personnage. En laissant derrière lui la surface où il est mort deux fois, Difool abandonne aussi tout ce qui lui reste de vie normale. Ce qui ne va guère lui convenir.
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