Blind Lake
Un livre dont la couverture intrigante, et inquiétante, m'avait attiré à une époque, mais sur lequel je ne m'étais pas penché à cause de ma profonde méfiance à l'égard de la SF de Robert Charles Wilson. Grâce à la sympathie de l'ami Efelle qui me l'a prêté (il y a environ huit mois...), en voici ma chronique. Bien entendu, ne manquez pas la sienne !
Résumé :
Dans un futur pas trop éloigné, la technologie de "l'OEil", reposant sur des dispositifs quantiques O/BEC, permet d'obtenir, par reconstruction mathématique, des films tout droit venus d'exoplanètes lointaines. Deux installations, à Crossbanks et Blind Lake, surveillent pour la première un monde océanique sans vie animale et pour la deuxième une planète plus aride, où existe une espèce intelligente. En particulier, Blind Lake filme la vie du "Sujet", appelé parfois aussi le "Homard" en raison de son apparence : nombre de chercheurs tentent de comprendre, par la seule observation, le mode de vie et le niveau d'intelligence de cet être. Chris est un journaliste envoyé à Blind Lake en compagnie d'une confrère et d'un écrivain ayant produit un best-seller de vulgarisation scientifique. Sur place, ils sont presque aussitôt pris dans un véritable blocus : le gouvernement interrompt toutes les communications entre la base et l'extérieur. Dans le même temps, le Sujet rompt la monotonie de sa vie et quitte sa ville. Alors que la plupart des chercheurs de Blind Lake se sont absentés pour une conférence en compagnie de leurs confrères de Crossbanks, la population, de plus en plus inquiète, ignore l'étrange coïncidence... Dans quelle mesure la technologie de l'OEil est-elle inoffensive pour ses utilisateurs et même... pour ceux qu'elle permet d'observer ?La physique quantique fascine. J'ai le souvenir d'avoir découvert cette branche bizarroïde de la physique par une BD dans Sciences et Vie Junior (ça remonte au début des années 90). Plus tard, au cours de ce douteux épisode de ma folle jeunesse où j'ai usé mes jeans dans une prépa maths-sup (un an) puis maths-spé (six semaines), j'ai entendu l'un de mes profs de physique expliquer que la physique quantique n'était pas compatible avec la relativité générale. Plus tard encore, j'ai entendu parler dans un cours de microscopie de l'effet tunnel. De ces différents contacts j'ai retenu deux choses :
- Les applications de la physique quantique donnent tout son sens à l'assertion de Arthur C. Clarke selon laquelle toute technologie assez avancée devient indiscernable de la magie. Corollaire : la physique quantique est une science "magique" permettant de réaliser des expériences troublantes, à même de défier la raison. D'autres que moi parleront bien mieux des états de superposition particulaires.
- "La présence de l'observateur perturbe la mesure".
Quoi qu'il en soit, passé ce premier écueil, il faut bien reconnaître que Blind Lake constitue un fort sympathique space-op' où l'exploration d'autres planètes est... assistée par ordinateur ! Seuls les calculs faits par des ordinateurs capables de se reprogrammer eux-mêmes permet aux chercheurs d'acquérir les images qu'ils étudient. Deux écoles s'opposent alors : ceux qui pensent que ces images sont conformes à la réalité... contre ceux qui se demandent jusqu'à quel point les documents vidéo qui sortent des ordinateurs ne sont pas "imaginés" par les calculs incompréhensibles qui s'y déroulent. Car la technologie O/BEC est dès le départ postulée comme incompréhensible : une forme de magie quantique, une chose qui fonctionne, mais on ne sait pas comment.
Le space-op' n'est pourtant ici qu'un argument. Le goût prononcé de Wilson pour le concept de transcendance (j'entends par là intrusion dans la réalité commune de manifestations d'une réalité d'ordre supérieur) se manifeste bien entendu dans ce livre. La relation (car il y en a une !) entre le Sujet et ses observateurs est justifiée par la physique quantique, mais le schéma de ce livre est de type transcendant : la tension qui monte est traduite par le voyage mystérieux du Sujet mais aussi par les comportements bizarres de certains personnages, bien sûr ; pourtant, cette tension dissimule fort bien le véritable enjeu. Wilson conduit son lecteur avec talent jusqu'à une résolution assez peu attendue et, somme toute, assez réjouissante - au contraire des sinistres Le Vaisseau des Voyageurs et surtout B.I.O.S.. A ce titre, ce livre est un vrai page-turner dévoré (en ce qui me concerne) en moins de dix heures de temps cumulé.
Page-turner avec quelques défauts (j'ai noté, entre autres, une formulation maladroite laissant entendre que les végétaux ne possèdent pas de mitochondries, mais c'est peut-être le fait de la traduction) mais surtout des clins d'oeil affectueux de l'auteur à l'égard de ses personnages, qui possèdent souvent un caractère bien trempé ainsi que des réactions crédibles compte-tenu des circonstances où ils sont plongés. Voilà un livre qui, après Les Chronolithes, achève de me réconcilier avec un auteur qui avait jusqu'ici été synonyme de déceptions pour moi.
Qu'est-ce que je peux lire de lui, maintenant ?
P.S. : le traducteur, Gilles Goullet, signale dans les commentaires que la bizarrerie provient bel et bien du texte original. Merci à lui pour cette précision.
Commentaires
Tu es quand même sacrément impressionnant au niveau de la lecture (et des chroniques qui en découlent) : à peine je vois passer un lien pour une chronique sur les réseaux, qu'une nouvelle est déjà en ligne !
C'est sûr que pour aborder Wilson, Les Chronolithes, c'est ce qu'il y a de mieux. C'est ce que j'ai fait, et je ne le regrette pas.
Enfin, et je sais que peu de gens seront d'accord avec moi, mais Julian est un très bon roman !
A.C.
Je n'aurai pas de scrupules à continuer, mais à petites doses quand même.
J'ai eu des retours intéressants sur "Julian". On verra dans quelques temps, après "Spin" en tout cas.
Le seul petit soucis avec Julian, c'est son prix...
A.C.
A.C.
A.C.
@A.C. : en fait je parlais des deux. Pour "Spin", c'est acquis, je le lirai. Pour "Julian", du coup, c'est beaucoup moins sûr. Mais dans tous les cas, que j'en lise un ou bien les deux, ça sera en poche car je ne suis pas pressé.
A.C.
A.C.
Certes, le traducteur est humain, donc faillible, mais l'auteur ne l'est pas moins !
En l'occurrence, la VO est : « That life was simply not glamorous. It was multicellular but purely photosynthetic; evolution on HR8832/B seemed to have neglected to invent the mitochondria necessary for animal life. » (s'il s'agit bien de ce passage, p 16 du grand format)
Entendons-nous bien : chacun a le droit de penser ce qu'il/elle veut d'une traduction (et de le dire). Ce qui m'agace un tantinet (enfin, un assez gros tantinet pour que je réagisse ici au retour de vacances), c'est cette propension qu'on retrouve un peu partout de mentionner uniquement la traduction dans un sens négatif...
Merci déjà pour la traduction de "Blind Lake". Le passage auquel je faisais référence est en effet celui-ci et, comme je le dis bien dans mon article, il ne m'était pas possible de savoir si le problème provenait de l'auteur ou du traducteur. En l'occurrence, il s'agit de l'auteur et je ne manquerai pas de le signaler dans un post-scriptum.
Après, compte-tenu de mes interventions sur ce point :
-Dans l'article lui-même : "j'ai noté, entre autres, une formulation maladroite laissant entendre que les végétaux ne possèdent pas de mitochondries, mais c'est peut-être le fait de la traduction" ;
-Dans les commentaires : "Oui, voilà, si c'est une oeuvre traduite, on ne sait jamais trop qui est le responsable de l'erreur" ;
je trouve un peu dommage d'y détecter l'expression, de ma part, d'un profond mépris à l'égard du traducteur, ce paria (cette phrase contenant une synthèse en mode provoc' de votre commentaire). Quant aux autres commentateurs, je les connais assez pour savoir qu'ils sont dans le même état d'esprit que moi. Dans le cas contraire, ils sont assez grands pour venir me contredire s'ils le jugent utile.
Sur ces bonnes paroles, portez-vous bien et bonne reprise, sans prises de tête avec des lecteurs qui sont aussi les vôtres, du coup.