Le Rivage des Syrtes
J'avais lu quelque part que ce livre était un des livres "à lire" pour tout amateur sérieux de littératures de l'imaginaire francophone. Il traînait sur ma table de nuit depuis plusieurs années, sans projet formulé de lecture ; à la faveur d'une petite semaine d'Eté, j'ai décidé d'en venir à bout.
Résumé :
Orsenna est "la Ville", capitale d'un Etat oligarchique qui s'enfonce depuis des siècles dans une véritable torpeur. Au Sud, le rivage des Syrtes marque les confins du pays : une forteresse délabrée, une ville de faible importance et des ruines presque antiques occupent une bande de terre coincée entre le désert et l'océan. De l'autre côté du bras de mer, c'est le Farghestan, une puissance étrangère avec laquelle la Seigneurerie d'Orsenna est en guerre depuis trois siècles, une guerre sans opérations militaires... Suite à une déception amoureuse, Aldo, jeune homme d'une bonne famille de la capitale, demande à être affecté à l'Amirauté des Syrtes. Il va y découvrir que la langueur de la capitale s'est infiltrée jusque parmi les capitaines. A moins que...Tout ce livre tient presque à ces points de suspension. La langueur, la torpeur, qui caractérisent la vie politique d'Orsenna et même sa vie tout court empoissent le début de cette oeuvre : Aldo, dont le nom reste sauf erreur inconnu pendant un certain nombre de pages, découvre une Amirauté alanguie autour de traditions séculaires. La guerre avec le Farghestan n'est plus que nominative car les mouvements de troupes ont cessé depuis belle lurette, mais ce n'est pas non plus la paix car il n'existe pas d'échanges diplomatiques entre les deux puissances. Pourtant, il existe dans l'air une tension palpable qui monte peu à peu, comme dans Le Désert des Tartares de Dino Buzzatti. C'est tout d'abord l'impatience d'Aldo, puis l'arrivée impromptue de la bonne société d'Orsenna, et enfin une effervescence généralisée qui montrent que, depuis les Syrtes, les choses vont changer. Un prêche de Noël, fort peu paisible, indique bien que la société de la vieille Seigneurerie veut sortir de son sommeil.
La mise en mouvement du géant endormi qu'est Orsenna est en réalité l'argument de ce livre. Vu par l'intermédiaire d'Aldo, qui n'est somme toute que la première braise de l'incendie qui s'annonce, le mouvement s'amorce d'une façon anodine avant que l'escalade ne se produise, d'une façon inéluctable et inconcevable, étape par étape. Or, la guerre contre le Farghestan n'est pas le sujet d'intérêt principal des protagonistes : c'est l'endormissement de leur société qui est en question. Il me semble qu'il y a ici une métaphore d'une révolution d'un genre inhabituel, car le mouvement, initié par un personnage a priori insignifiant, est repris par les échelons de la hiérarchie de l'Etat jusqu'à son sommet.
L'aspect inéluctable de cette évolution n'est cependant pas sans surprendre et même sans troubler. Aldo lui-même ne comprend pas grand-chose à ce qu'il se passe, et pas avant que les manettes du grand jeu ne lui aient tout à fait échappé. Quand au lecteur, il ne sait pas trop à quoi s'en tenir. La guerre qui se profile n'aura pas lieu dans le temps fictionnel défini par l'auteur, preuve s'il en fallait une que ce n'était pas là son sujet ; en fin de compte, Le Rivage des Syrtes surprend plus qu'il ne séduit. On pourra s'amuser à le classer dans la Fantasy puisqu'il concerne des pays imaginaires, même si l'inspiration en apparaît transparente ; mais dans tous les cas, on en ressortira partagé : convaincu par les qualités d'écrivain de son auteur, mais perplexe devant un texte somme toute bien peu conclusif...
Commentaires
Il faudra donc bien que je me fasse un avis moi-même ! ;)
On peut le rattacher à deux autres classiques : Le désert des tartares de Dino Buzatti (1940) et En attendant les barbares de Coetzee (1980).
Si on fait confiance à Jean-Yves Bochet (le libraire de l'Iris noir) un quatrième livre complète cette série thématique : Les Fiancées sont froides de Guy Dupré (1953), mais je n'ai pas encore eu le temps de le lire.
Gracq avait refusé le prix Goncourt pour ce livre (ce qui demande d'avoir une paire de couilles conséquentes), on le trouve aujourd'hui en Pléiade.
De mon point de vue c'est un grand classique, et une des raisons qui font que l'éditeur José Corti a été récompensé par le prix spécial du GPI 2012.
Je crois bien que c'est chez toi (j'ignore si c'est à Caracole ou à Fingo que j'ai affaire) que j'ai lu, en effet, que ce livre est trop méconnu parmi les amateurs d'imaginaire. Tu as un lien à me fournir histoire que je rende à César ?