Wastburg
Wastburg était le dernier livre qu'il me restait à rattraper dans le cadre du Prix des Blogueurs 2012. C'est à présent chose faite et depuis quelques minutes : place à la chronique...
Résumé :
Wastburg est construite dans le delta d'un fleuve. Ni sujette des rois Waelmiens, ni tributaire de la Loritanie, c'est une cité-état qui a été jadis gouvernée par les majeers. Mais depuis la Déglingue et la disparition de la magie, Wastburg doit se gouverner toute seule, en théorie dirigée depuis une cinquantaine d'années par un énigmatique burgmaester. En pratique, Wastburg est le royaume de la débrouille. Du petit peuple jusqu'à son élite, des petites frappes jusqu'aux grands criminels assoiffés de pouvoir, des "gardoches" au burgmaester, chacun patauge dans la même fange, et n'a aucun moyen de savoir s'il ne va pas dormir à la Purge le soir - à moins qu'il ne termine en forme de cadavre dans le fleuve...Wastburg, c'est d'abord une invention géographique. La ville éponyme ne partage presque rien d'autre que sa localisation avec la resplendissante Alexandrie dans le delta du Nil : la tour des majeers, si elle évoque à la fois le Phare et la Bibliothèque de la ville antique, est obscure depuis l'extinction de la magie, et ses grimoires sont désormais illisibles et inutilisables... ou pas ? C'est que Wastburg, tout comme ces villes médiévales dont les habitants saccageaient volontiers les édifices antiques n'ayant plus pour eux aucun sens ni utilité (voir par exemple comment les arènes d'Arles ont été massacrées au Moyen-Âge), s'est construite comme un chancre entre les deux bras du fleuve. Et un chancre, ça enfle d'une façon anarchique, ça gonfle jusqu'à devenir difforme, et quand ça éclate, ça dégouline et ça pue : voici donc Wastburg, une ville dont l'inextricable enchevêtrement des rues explique, et justifie, l'invraisemblable saleté organique. Parce que le Moyen-Âge, avant d'être l'époque des belles dames et des nobles chevaliers, c'était avant tout une époque où l'Occident avait pris soin de contredire toutes les notions de sagesse urbaine les plus évidentes : rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que les enfants crevaient si nombreux en bas-âge. Wastburg, la ville, apparaît donc vite comme un archétype et même la quintessence de l'agglomération médiévale insensée.
Or, la ville médiévale, c'était aussi l'entrelacs de relations sociales tissé par ses habitants, avec ses rituels, ses traditions, et ses non-dits. Wastburg possède, en toute logique, son carnaval annuel et quelques fêtes religieuses plus ou moins importées. Après la disparition du cadre structurant de la magie, la superstition vient assurer un semblant d'ordre social, et en guise de soupape de sécurité, la fête de la porchaison vient garantir un moment de folie et de retournement inoffensif (ou presque) de l'ordre établi. Le reste du temps, une justice inhumaine, rendue pour les cas ultimes par un bourreau, assure que le troupeau se comporte bien. Car la populace de Wastburg, dont nous découvrons tour à tour, au fil des chapitres, plusieurs personnages hauts en couleur dont aucun ne tient plus d'une fois le rôle de voix principale, a inventé, au fil du mixage plus ou moins contraint et heureux entre les Waelmiens et les Loritains, une langue bien à elle. Ce parler wastburgien n'est pas fait que d'une association de termes inconnus de l'autre côté des bras du fleuve : il est, à lui tout seul, un contexte à part entière, qui cimente la ville bien plus que ses institutions et ses traditions bizarres. Quelque part, il s'agit d'une émanation de ce passé de magie disparue maintenant - ou pas. Peut-être. Faut voir. Et donc, à la rivalité ancestrale entre Waelmiens et Loritains, où l'on peut sentir - peut-être ? - un "choc des civilisations" à venir, s'oppose la force de l'habitude consolidée par un langage commun. A Wastburg, les Waelmiens tiennent le haut du pavé, méprisant les Loritains aux coutumes étranges, à l'alphabet incompréhensible et qui sont surtout en train de faire tache d'huile, et l'on se garde bien de nommer un maester loritain ou de construire un pont qui permettrait d'accéder à la ville à pied sec depuis la rive loritaine, mais le savon loritain est réputé pour être le meilleur, tout comme d'ailleurs les bonniches - et les putains...
On pourrait craindre qu'à effeuiller peu à peu ce contexte si riche et si ancré dans le monde réel, Cédric Ferrand n'en vienne à oublier qu'il est ici pour nous raconter une histoire. Bien vite, cependant, les craintes s'éteignent : il se passe quelque chose à Wastburg. Est-on en train d'assister au réveil de la magie ? Et pourquoi nul n'a pu rencontrer le burgmaester depuis des années ? Les complots, si prégnants dans la littérature de fantasy, ne sont guère absents de cette Cité-Etat où quelque chose se trame. Complots présentés avec une bonne dose d'humour noir, lequel colore l'ensemble du livre, où le sort s'acharne sans cesse sur les pauvres hères, égaux minables dans ce quotidien peu ragoûtant. Il n'en est pas un qui ne soit affligé d'une tare ou d'un fardeau - physique ou psychologique... Et donc, c'est (presque) à juste titre que leur destin est souvent très peu enviable. Wastburg n'existe pas pour eux, mais pour elle-même, du prologue jusqu'à l'épilogue, formant ainsi à la fois le décor et le seul véritable personnage de ce roman colossal.
Pour moi, Wastburg est une exceptionnelle pièce de littérature, à mettre entre les mains de ceux qui n'aiment pas les "mauvais genres". Histoire qu'ils comprennent que l'imaginaire ne se limite pas à ses plus mauvaises représentations. Histoire qu'ils voient ce que c'est, un vrai bon roman de l'imaginaire.
Ne pas manquer les chroniques de mes compères Efelle et Traqueur Stellaire. Voir aussi l'interview de l'auteur par Gromovar.
Commentaires
Aucune idée concernant ta question, j'ignorais même qu'une adaptation en JdR était envisagée...
http://les12singes.com/sousrubrique.php3?id_rubrique=74