Spirou et Fantasio tome 53
Un nouveau Spirou, cela ne se rate pas, y compris quand - comme cet album - l'aventure qui nous est contée n'a pas grand-chose à voir avec la SF que l'on croise parfois dans cette vieille série...
Résumé :
De retour sur Terre après son aventure dans la Lune, Spirou se trouve dans une très fâcheuse posture : un collectif de familles s'insurge contre la retranscription plus ou moins romancée de sa transformation en homme-singe qui aurait, semble-t-il, perturbé un certain nombre de jeunes lecteurs. L'avocate qui défend le collectif parvient à faire condamner le Journal de Spirou à payer une amende record d'un million d'euros, une sentence qui entraînera en fait l'arrêt d'un magazine publié sans interruption depuis soixante-quinze ans ! Par chance, un étrange individu, que Spirou a connu en tant que personnage de BD quand il était enfant, fait son apparition et propose de mettre le journal en relation avec des investisseurs en mesure de payer la note... Avec le rachat par la Viper Corporation, c'est une manne inespérée qui tombe sur le journal ! Et le patron de ce fonds d'investissement désire même rencontrer Spirou en personne... Sauf que, d'après des informations offertes par Seccotine, l'avocate qui est à l'origine de la condamnation du journal a été elle-même payée par la Viper Corporation : en signant le contrat et en acceptant de se rendre aux îles Marmelade où réside le patron de cette entreprise tentaculaire, Spirou ne vient-il pas de se perdre lui-même ?
Spirou a toujours été un personnage simple et hostile aux manifestations d'ubris. Déjà, dans les albums de Franquin, s'opposait-il aux inventions funestes de l'anti-sympathique Zorglub tout comme aux délires mégalomaniaques du beaucoup moins marrant Zantafio. Le précédent album nous donnait à voir un Zorglub enfin revenu à la Lune pour y concevoir un projet d'envergure titanesque et donc exprimer à nouveau toute sa démesure : le risque était de le voir à nouveau faire son come-back en tant que dictateur électronique. Si l'issue est possible et même probable, il s'avère que les auteurs l'ont pour le moment écartée, pour cet album comme sans doute pour le suivant si j'en crois l'image finale. Au lieu de cela, c'est à un ubris bien différent de la démesure scientifique de Zorglub que Spirou doit se confronter : l'époque étant ce qu'elle est, il doit s'opposer au pouvoir presque illimité de la finance. En face de lui, l'argent de la Viper Corporation peut en effet tout acheter : avocats, héros... et même Etats endettés. En fait, par l'intermédiaire du chantage et d'un droit dévoyé, c'est tout un système qui est perverti par le patron de la Viper Corporation, excellente caricature d'une élite financière capable d'imposer à l'individu, par la seule violence du fait économique, des contraintes inouïes - et de discuter la légitimité des Etats. Tiens, on n'est même pas très loin de Cleer dans cette véritable corporate-fiction au fumet totalitaire...
Mais Spirou étant un personnage jeune public, il ne pouvait s'en tenir à un constat désespéré d'une situation inextricable. Au lieu de cela, le voici décidé à s'enfuir et à tenter de se tirer seul des "griffes de la vipère"... Seul ou presque ? La série étant jeune public, il s'avère que l'envie d'aider un ami, ou même une certaine idée de l'honneur, finissent toujours par l'emporter sur la peur du procès. Peut-être est-ce là un pli par trop heureux... même si la dernière case donne à penser que Spirou pourrait bien être tombé de Charybde en Scylla ! Quoi qu'il en soit, le dessin reste conforme aux choix graphiques de Franquin : une fois de plus, la filiation entre ce Spirou et celui de l'âge d'or semble assumée voire même revendiquée, pour le bonheur des "vieux" lecteurs qui se feront un plaisir de relever les véritables anachronismes liés au passage à notre époque contemporaine d'un héros parvenu à la maturité à la fin des années cinquante et aussi de repérer, peut-être, au détour d'une case, un de Mesmaeker en partie caché par une porte d'ascenseur.
Car n'en doutons pas : sur cette histoire de contrat faustien et malgré tout réduit en cendres avant d'être... mangé, pèse l'ombre humaniste du génial Franquin. Et rien que pour ça, ce Spirou valait la peine d'être lu.
Commentaires
(ou alors je l'offre à mon père pour son anniversaire, ça marche bien aussi pour les lire en douce !)