Le Temps du Rêve
Récolté aux Utopiales 2012, voici le dernier livre écrit par Norman Spinrad. J'ai eu la chance de pouvoir le faire dédicacer par son auteur.
Il s'agit de l'un de ces livres dont la chronique ne pourra obéir aux exigences de forme que je me suis fixées au début de l'existence de ce blog. Difficile de produire un résumé, en effet, de cette succession d'épisodes - en l'occurrence, des rêves assistés par ordinateur - dont la juxtaposition n'est qu'en apparence brouillonne et gratuite. L'enjeu science-fictif de ce court opuscule, c'est une technologie nouvelle permettant de peupler le sommeil paradoxal de rêves artificiels. Technologie nouvelle et riche, a priori, en merveilleuses potentialités ; mais technologie verrouillée par ses concepteurs. Les rêves, classés selon une nomenclature très semblable à celle des films, peuvent être achetés dans des magasins en ligne, comme de vulgaires applications pour smartphones. Rêves sans surprise, flattant les désirs les plus évidents et les plus responsables de leurs acheteurs, de l'enfantin et innocent souhait de prendre son envol, à celui de se faire peur juste ce qu'il faut avant de vaincre.
Le Temps du Rêve, c'est cependant aussi une pièce cyberpunk bien caractérisée : au-delà du gadget que représente la "machine à rêve" et ses "oniropuces", Spinrad explore bien volontiers une dimension inattendue. Avec les développements de cette nouvelle technologie apparaissent les "oniropuces" vierges, que l'utilisateur peut remplir de rêves téléchargés sur Internet ; et certains de ces rêves peuvent être piratés. Rêves artificiels mais gratuits, et surtout libres du cadre perçu comme contraignant de la nomenclature des éditeurs : voilà de quoi laisser libre court aux fantasmes les plus torrides... ceux des utilisateurs comme ceux des auteurs des rêves. Mais parce que le rêve peut toujours tourner au cauchemar, il arrive parfois que les rêves piratés contiennent des codes malicieux qui enferment l'utilisateur dans des scènes effrayantes et sans doute archétypales : cauchemars de poursuite ou d'écrasement, par exemple.
En introduisant cette idée d'un média nouveau, le rêve, et en percevant l'ensemble de ses enjeux économiques et culturels, Spinrad nous offre un livre des plus intéressants : reprenant la leçon de Jack Barron et l'Eternité, il nous montre une fois de plus que les médias ne sont jamais que des tuyaux à idées. Au bout du tuyau, la substance est identique à celle de l'entrée : si elle est verrouillée à l'entrée, il ne faut pas s'attendre à ce qu'elle soit originale à la sortie ; mais si l'on va chercher quelque chose d'original, on risque d'en ressortir choqué - voire traumatisé ? A moins qu'il ne soit possible, bien sûr, d'adopter un nouveau point de vue et de reconnaître une bonne fois pour toute que le rêve n'est rien d'autre qu'une fiction ?
Sans être époustouflant, Le Temps du Rêve interroge... et je le sélectionne sans remords pour le Prix des Blogueurs 2013.
Notons que les traducteurs de ce livre ne sont autres que Roland C. Wagner et Sylvie Denis.
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