Cloud Atlas
Si vous jetez un petit coup d'oeil à la liste des étiquettes que j'associe à ce film, vous allez peut-être vous demander si je n'ai pas un peu eu la main lourde. Il n'en est rien. Cloud Atlas, dernière production en date des Wachowski (responsables de la peu indispensable trilogie Matrix), se caractérise en effet par une multitude d'étiquettes et je pense pouvoir affirmer qu'il n'y en a aucune ici qui serait usurpée...
Résumé :
Adam Ewing est avocat, tout juste arrivé en Nouvelle-Zélande, où il va découvrir l'esclavage et les mauvais traitements imposés à la population indigène. Robert Frobisher est un musicien, qui rêve d'écrire sa propre oeuvre tandis qu'il travaille en Ecosse comme copiste pour l'acariâtre compositeur Vyvyan Ayrs. Luisa Rey est journaliste : à Los Angeles, un sexagénaire lui demande ce qu'elle ferait pour protéger une source... Timothy Cavendish est un éditeur londonien au bord de la banqueroute qu'un miracle renfloue, lorsque l'un de ses auteurs devient un célèbre criminel. Sonmi-451 est une clone, esclave de la Corpocratie, faisant dix-neuf heures de travail quotidien au dînarium "Papa Song" et rêvant de sa future Ascension. Zachry porte le fardeau du Vieux Georgie, figure maléfique incarnant ses angoisses d'humain acculturé, vivant dans ses remords de n'avoir pas protégé son beau-frère et son neveu de la terreur des Kona. Des civilisés jusqu'aux sauvages, de 1849 jusqu'au XXIVème siècle, des premiers jours de la mondialisation jusqu'aux jours qui sont venus après la Chute, c'est le destin de l'espèce toute entière qui se joue : les systèmes livrés à eux-mêmes finissent toujours par se changer en cauchemar. A travers le temps, peut-on trouver une issue pour leur échapper ?
Du passé jusqu'au futur en passant par l'époque présente (1849, 1936, 1973, 2012, 2144 puis un XXIVème siècle où la précision n'a plus beaucoup d'importance), Cloud Atlas nous emmène à travers pas moins de six fils d'intrigue différents, et presque autant de lieux : la Nouvelle-Zélande, l'Ecosse, un bateau anglais en pleine traversée, Los Angeles et une ville de Séoul future. De la riante campagne britannique jusqu'aux paysages urbains contemporains, des immeubles dantesques et hallucinés de Néo-Séoul aux ruines du XXIVème siècles, on retrouvera encore presque autant d'ambiances et de photographies différentes. La longueur de Cloud Atlas, associée à son découpage très particulier, pourrait donner à penser que l'on regarde six films en un : il est clair que ce n'était pas l'intention des auteurs, d'autant plus clair qu'ils l'affirment eux-mêmes. Lavé à froid par les errements philosophisants de Matrix, je dois dire que j'ai bien fait de ne pas prendre connaissance de la structure audacieuse de Cloud Atlas avant d'entrer dans la salle : craignant un nouveau divertissement verbeux entrecoupé de scènes de violence gratuite où s'égrènent les balles, je serais sans doute allé voir autre chose. Et j'aurais eu tort.
Le procédé particulier mis en oeuvre dans ce film est fonctionnel, et bien plus encore. Jongler entre les différents personnages et les différentes époques pourrait s'avérer difficile, dans un premier temps ; mais les ambiances, la photographie, le langage même des personnages permet de ne jamais s'y perdre. Humour anglais pour le fil "Cavendish". Corps lisses et voix glacées du cyberpunk pour le fil "Sonmi-451". Atavisme et terreurs primales tout droit sorties de la Guerre du Feu pour le fil "Zachry". J'en passe : il est impossible de s'y perdre... même si les auteurs ont pris soin d'insérer certains objets ou discours récurrents, tout droit sortis du passé de certains personnages. A ce titre, il faut considérer l'histoire d'Adam Ewin comme fondatrice... son voyage initiatique, son amitié avec un esclave marron, et en fin de compte sa rébellion contre l'ordre non pas naturel mais bel et bien culturel, annoncent l'épopée à venir de Sonmi-451. Les idées, une fois qu'elles sont lâchées dans la conscience globale de l'espèce, ne s'éteignent pas, et si la Nouvelle-Zélande connaît à nouveau les festins cannibales au XXIVème siècle, certains de ses habitants révèrent Sonmi comme une déesse...
Ne nous y trompons pas : dans Cloud Atlas, il existe un ennemi, un ennemi sans visage et presque sans nom. Chaque époque décrite ici se caractérise par une société affamée, parfois au sens propre du terme, et dont les dents viennent broyer les vies. "Les forts ont faim", dit le proverbe récurrent, soutenu par moult métaphores alimentaires : l'ennemi, d'une époque à l'autre, est toujours le même, et des négriers du XIXème siècle à la Corpocratie du XXIIème, il n'y a somme toute pas de différence car tous font commerce de chair humaine à laquelle est déniée toute forme d'humanité. La conséquence logique de cette exploration implacable des travers humains, c'est bien sûr l'usure de la Terre mais aussi la péremption imminente d'une humanité suite à une Chute dont on ne sait rien, ou presque, entre l'époque de Sonmi et cette de Zachry. Pas de hasard si la Néo-Séoul se révèle aussi sombre et hostile, cernée par les eaux montantes d'un océan où naviguent à nouveau les bateaux des marchands de chair humaine. Pas de hasard non plus si, malgré l'angoisse et le délabrement qui caractérisent l'époque de Zachry, la Terre apparaît presque guérissante : on devine que l'épopée teintée d'évhémérisme de Sonmi a porté ses fruits. Dans cette optique, la Chute s'apparente à une nécessaire fin de cycle : avec la rencontre de Zachry et de Méronyme, c'est en quelque sorte une humanité nouvelle qui s'annonce, une humanité peut-être plus adulte, enfin débarrassée de ses pires démons.
Se payant le luxe de se conclure sur une image d'espoir, Cloud Atlas apparaît en fin de compte comme beaucoup plus intéressant que Matrix. Là, oui, on trouve de quoi réfléchir, et surtout de quoi questionner certaines involutions de notre époque... Terminons par signaler au moins une citation d'un classique du cinéma de science-fiction (pas trop difficile à repérer) ainsi que par un conseil : attendez un instant à la fin de la séance, le début du générique mérite un coup d'oeil...
Commentaires
Je rage que ce film ne soit pas diffusé en Belgique.
Je ne lis que d'excellents commentaires sur ce film et le sujet m'interpelle. J'ai vraiment envie de le voir et je ne suis pas certaine d'attendre la version DVD...
Comment se fait-il qu'il ne soit pas diffusé outre-Quiévrain ?
Je compte passer en France en juillet, mais pas avant. Du coup je doute que le film sera toujours diffusé.
Pourquoi ne l'est-il pas ici ? C'est bien la question que je me pose ! Pas assez rentable sans doute, puisqu'il n'a pas attiré les foules aux US (sont cons ces gens!), en voici les répercutions européenne...
Alors que tout le monde, à la sortie de ce divertissement verbeux, opposait à mes réserves des "mais c'est parce que t'es pas sensible au MESSAGE qui se trouve derrière", il s'avère que le public soi-disant convaincu par la "philosophie derrière 'Matrix'" ne l'est en tout cas pas assez pour aller voir un film plus exigeant, considéré du coup comme beaucoup plus prise de tronche et en tout cas moins chargé en poudre et en baston. Comme quoi, pour le grand public, "la philosophie ça va cinq minutes mais que si je vois Neo tataner l'agent Smith avant et après".
J'en ressors donc réjoui, et avec de nouveaux arguments pour pointer le manque d'envergure de "Matrix" devant ses fans les plus béats.
"Finir" dans une salle sombre ? Mais non, tu es libre de repartir à la fin :P
Comme dit dans cet article et dans les autres que j'ai pu faire où j'évoque cette trilogie, à mon sens "Matrix" est l'archétype du film de SF bourrin et peu intéressant, qui va piocher dans les thèmes à la mode ( n l'occurrence le cyberpunk et les délires mystiques sur la nature du réel) à une époque donnée. A mon sens les Wachowsky ont manqué leur occasion, dans le troisième volet de la trilogie, de démonter toute la pseudo-mythologie qui s'était construite autour de leur oeuvre.
Enfin, quand je voyais comment certaines personnes bavassaient sur la "matrice jaune" après "Revolutions" ou même étaient à deux doigts de penser que c'était un documentaire et non une fiction, c'était difficile de ne pas hurler de rire...