Le Voleur quantique
L'ami Gromovar nous l'avait vendu, celui-là, et avec un bel enthousiasme, sous l'étiquette improbable d'oubliettepunk. Paru en français il y a quelques mois, c'est donc l'un des potentiels nominables pour le Prix des Blogueurs édition 2013. L'ami Stellaire l'a lu il y a quelques temps, et en est ressorti fort déçu de son propre aveu : voilà donc de quoi m'inciter à me faire ma propre opinion. Quod feci.
Résumé :
Jean le Flambeur est un voleur. Enfermé dans une prison informatique où il vit et revit sans cesse le paradoxe du prisonnier, aux mains de gardiens IA, l'enfer est pour lui virtuel quelque part dans une partie du Système solaire contrôlée par une civilisation post-humaine. Un jour, pourtant, une guerrière venue du Nuage de Oort vient le tirer de sa prison : l'un des dieux du Sobornost a besoin de ses talents, sur Mars et pour être plus précis dans la ville nomade connue sous le nom de l'Oubliette. Or, Jean connaît bien l'Oubliette, une ville constituée sur les ruines du Royaume de Mars, une ville où une précédente incarnation de sa personnalité a laissé des souvenirs et peut-être des amis... une ville où chacun porte une "Montre" égrenant le temps de sa vie jusqu'à ce que vienne le moment de la réincarnation sous la forme d'un Silencieux. Quelles sont les intentions réelles des divinités post-humaines qui manipulent Jean et Mieli la guerrière ?
A lire ce livre, j'ai très vite pensé à la Trilogie de l'Âge d'Or de John C. Wright. On retrouve dans Le Voleur quantique cette idée d'une humanité améliorée, dont certaines branches tendent vers une (ou des) formes de post-humanité plus ou moins assumées, le tout dans une ambiance baroque. Ici, l'oeuvre tente à l'occasion quelques pointes d'humour absentes dans la trilogie de Wright mais néanmoins, l'inspiration m'a semblé tout de suite patente. On pense aussi aux Enfers virtuels de Iain M. Banks, bien sûr, à la description de la prison où pourrit Jean : de toute évidence, l'auteur finlandais de ce Voleur quantique est un connaisseur de la SF contemporaine (et en tout cas de l'anglophone) et ce n'est sans doute pas un hasard si Charles Stross lui-même salue en ce livre un excellent premier roman de SF.
Le contexte sur lequel est fondé Le Voleur quantique, et donc la trilogie qu'il ouvre, apparaît en effet très fouillé. Dans un futur mal défini, l'espèce humaine a exploré mais aussi colonisé les différentes régions de son système solaire d'origine. Des clans humains, ou post-humains, se sont établis à certains endroits plutôt qu'à d'autres, comme on le comprend à travers les interludes parfois obscurs qui séparent les chapitres de l'intrigue en tant que telle. Mars, en particulier, abrite une culture originale où le problème posé par l'immortalité a été résolu grâce à l'institution du Silence. Dans une ville aux oripeaux de l'anarchie la plus complète et la plus capitaliste, les Silencieux et l'ordre quasi-religieux qui organise le système garantissent que les vivants puissent vivre leur temps de vie - et de liberté - à leur guise. Une ville qui provient d'une Révolution dont les tumultes restent imprimés dans toutes les mémoires... mais qui dissimule un secret des plus sales. Autant dire que ni le schéma du livre, ni (encore moins) celui de la trilogie à venir n'apparaissent avec clarté, pas en tout cas avant les dernières pages.
Roman de toute évidence ambitieux, résultant d'un important travail de contextualisation, le Voleur quantique a le mérite de positionner la problématique de la post-humanité dans un contexte baroque et coloré, penchant parfois vers le clin-d'oeil appuyé à notre époque et parfois vers une forme de dystopie. Il en résulte un livre inclassable, à mi-chemin entre le délire potache et l'instantané photographique de la culture SF des '00ies. L'ensemble en ressort donc intrigant voire peu clair voire, peut-être, à la limite du décevant si ce n'est pas du foutage de gueule assumé : encore une fois, je ne suis pas étonné a posteriori par l'appréciation de Stross. Je serais donc bien en peine de dire si j'ai apprécié ce livre : s'il est clair que j'ai envie de savoir où l'auteur veut en venir (et rien que pour cela, le Voleur quantique mérite sa place dans ma liste pour le Prix des Blogueurs édition 2013), et si je reconnais à Rajaniemi une véritable capacité à construire un contexte cohérent, je pense que l'arc narratif de cette intrigue est trop serré, trop étriqué, pour me satisfaire. Il faudra, c'est évident, se pencher sur les suites : nous verrons !
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