Le Calice du Dragon
De Lucius Shepard, je n'ai pour ainsi dire presque rien lu : rien d'autre en tout cas qu'une nouvelle publiée dans l'Anthologie officielle des Utopiales 2011. Le Dragon Griaule, dont la renommée laisserait à penser qu'il s'agit du chef-d'oeuvre de son auteur, somnole dans ma PàL depuis que j'ai recueilli sa dédicace... Entré dans la short-list du Prix des Blogueurs édition 2013, le présent livre est un roman indépendant se déroulant dans l'univers de Griaule : restait à savoir s'il pouvait s'agir d'une porte d'entrée à ce monde...
Résumé :
Aux pieds du dragon Griaule, statufié depuis des millénaires, s'étend Teocinte, une ville corrompue et décadente, mais dont les chefs continuent à croire que leur devoir est de trouver le moyen, une bonne fois pour toutes, de tuer la créature monstrueuse qui les domine et qui, peut-être, influence leurs vies malgré sa paralysie. Richard Rosacher, un jeune médecin, cherche à étudier le sang de Griaule jusqu'au jour où il en reçoit, par accident, une généreuse injection qui fait changer son état d'esprit. Le plus-et-mieux, une drogue nouvelle qui rend possible de supporter la médiocrité du monde sans entraîner de dépendance physique, vient de naître, et avec lui l'une des entreprises les plus profitables de Teocinte : pour Rosacher, c'est le début de la longue ascension de son pouvoir, économique d'abord, puis bientôt politique et religieux. Griaule est-il cependant aussi indifférent qu'il y paraît aux affaires humaines ? Et à vouloir imposer sa marque au monde, Rosacher ne cherche-t-il pas à se trouver lui-même ?
Lors de la toute première édition de ce Prix, j'avais eu l'occasion de dire tout le mal que j'avais pensé de Planète à louer, pièce à vocation pamphlétaire des moins indispensables. Lors de la deuxième, j'avais fait part de ma profonde perplexité à l'égard de Matricia, morceau poétisant et enrobé de symboles justifiant - ou justifiés par, ça dépend - une intrigue peu lisible. Le Calice du Dragon, par chance, ne m'a pas inspiré la même répulsion que Planète à louer : j'en suis plutôt ressorti tout aussi perplexe que je ne le suis de Matricia. Mon tort, dans les deux cas, fut sans nul doute de n'avoir pas eu l'occasion de m'introduire dans l'univers de ce livre par une autre porte, peut-être plus facile d'accès, peut-être plus belle : j'admettrai bien volontiers cette critique et préciserai, toujours dans les deux cas, que je ne m'interdis pas à l'avenir de tenter à nouveau l'expérience.
Et pourtant.
Ce livre fermé, un autre titre s'impose à mon esprit : Cent Ans de Solitude, le roman majeur qui a sans doute compté dans l'attribution du Prix Nobel à son auteur, Gabriel Garcia Marquez, en 1982. La littérature ne sort jamais de rien, et les genres de l'imaginaire - ceux que l'on dit parfois mauvais - moins encore que les autres. Je suis persuadé, à lire cette histoire d'un homme en quête de lui-même, seul devant l'indifférente toute-puissance de Griaule, d'y trouver des réminiscences de cet autre livre. Là où Garcia Marquez racontait l'histoire d'une ville traversant, au fil du temps, les avanies que le monde extérieur lui impose - depuis la fièvre de l'or jusqu'à celle de l'exploitation par une compagnie fruitière - Shepard préfère se concentrer sur le destin d'un seul homme, un destin qui sera entrecoupé d'incompréhensibles plages d'années enfuies à toute allure. Un destin de salopard en quête d'une très improbable rédemption, qui lui sera pourtant accordée, d'une certaine façon... Si ce livre parvient à rester tonique et même intrigant jusqu'à sa moitié, voire même jusqu'à son deuxième tiers, il perd alors ses arguments et semble se disperser dans de peu convaincantes considérations - et ce n'est pas l'épilogue, qui tente peut-être un éclairage ultime, qui pourra en faire une pièce inoubliable... Une belle déception, donc, m'incitant à passer vite à autre chose.
Parce que Macondo après la pluie, quand même, a une autre gueule que Teocinte après Griaule.
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