Anamnèse de Lady Star
Lors de l'édition 2011 du Prix des Blogueurs, nous avions choisi de primer, en fin de compte, le premier roman de l'auteur bicéphale L. L. Kloetzer. Roman de corporate-fiction - à moins qu'il ne s'agisse de post-fantasy - Cleer intriguait dès sa couverture, m'agaçait jusqu'à ses cent dernières pages et finissait, sur le rasoir, par me convaincre de ses qualités. Il se trouve que pour la troisième - déjà - édition du Prix, les Kloetzer ont eu l'idée de nous gratifier d'un second roman, à la couverture moins audacieuse que celle du premier, un roman qui s'est sans trop de difficultés infiltré dans notre short-list. Restait une question, pour moi : ce livre était le dernier que j'avais à lire pour me présenter aux délibérations dans de bonnes conditions.
Résumé :
Stéphane Aberlour, calligraphe, sociologue et génial méméticien, est à l'origine de l'invention de la bombe iconique : une arme de terreur d'un nouveau genre, qu'un groupuscule fanatique fait exploser à Islamabad. Si neuf victimes sur dix succombent aussitôt après exposition, la dernière devient un Porteur Lent : un sujet contaminé qui peut à tout instant voir sa conscience consumée en une irréversible boucle de rétroaction - mais surtout contagieux, car une simple "transaction", qu'il s'agisse d'un échange verbal ou même d'un simple regard avec un Porteur peut transmettre la redoutable maladie à une personne indemne. Ainsi manque de s'effondrer la civilisation alors que le mal se répand, éliminant les trois quarts de l'espèce humaine. Quelques années plus tard, alors que la majeure partie des survivants se concentre sur des îles, évitant les continents où rôdent les Porteurs Lents retournés à l'état sauvage, les travaux d'archéologie numérique, destinés à reconstruire le fil des événements qui ont conduit à la catastrophe, laissent à penser que la pensée d'Aberlour n'est pas encore éteinte. Une étrange femme semble avoir participé à ses travaux, qu'elle a peut-être inspirés ; le plus inquiétant, c'est encore que certains survivants disent l'avoir croisée des années après l'attentat d'Islamabad. Pour que plus jamais la bombe iconique ne puisse exploser, Magda Makropoulos va devoir traquer l'inconnue à travers les archives mais aussi dans les souvenirs des témoins. Mais comment dénicher, sur la Terre en ruines, un être disposant du savoir le plus dangereux - et sans doute pas tout à fait humain ?
Après la corporate-fiction, les Kloetzer s'essayent donc au post-apocalyptique, la majeure partie d'Anamnèse de Lady Star se passant après la catastrophe désignée d'une façon assez ironique par le vocable Satori. Des jours terribles qui suivent l'attentat d'Islamabad, le lecteur ne saura presque rien hormis à travers le témoignage ironique et moqueur de l'homme qui a déclenché la bombe - le seul, peut-être, à être immunisé contre ses effets : ce qui intéresse les auteurs, bien sûr, c'est la traque de la compagne/muse d'Aberlour. Une traque menée, un demi-siècle après le Satori, par une jeune chercheuse dont les hypothèses révolutionnaires vont amener - peut-être - ses chefs à fermer la boîte de Pandore une bonne fois pour toutes. Une traque de l'ère numérique, où les intelligences artificielles et autres moteurs de recherche deviennent les adjuvants nécessaires d'une quête qui ne dit pas son nom, parce que Magda et ses supérieurs ne sont, somme toute, rien d'autre que des paladins cherchant à mettre à jamais l'espèce humaine à l'abri de l'horreur qui l'a déjà frappée une fois. Ainsi les Kloetzer, à travers quelques références - par exemple aux méthodes Karenberg - mais aussi à travers une démarche typique font-ils le lien avec la post-fantasy de Cleer, sans toutefois se heurter à l'écueil de l'auto-citation intempestive.
Explorant tout d'abord les racines et les premiers surgeons du Satori, Anamnèse de Lady Star apparaît dans un premier temps comme un roman très dynamique et d'une extrême solidité interne. Cette idée d'une bombe mémétique, frappant la conscience humaine, et dont les effets sont transmissibles d'un sujet à l'autre - y compris à travers des supports tels que la télévision, par exemple ! - a quelque chose de vertigineux. Les esprits tatillons pourront, bien sûr, questionner la cohérence de l'invention et se demander, par exemple, comment le Satori a pu laisser des survivants si même les Porteurs Lents sont contagieux ? Il n'empêche : l'idée me semble si neuve, si originale, qu'il est d'autant plus facile de renoncer à de trop simples critiques pour se laisser couler dans le fil d'une histoire où le passé répond au présent de l'enquête.
Et puis... et puis... arrive le dernier quart du roman, et voilà que se dissipent en quelques pages toute la créativité, toute l'ingéniosité, toute l'originalité, en un mot toute l'intelligence des trois premiers. On a presque l'impression que les auteurs, d'un coup, se lassent de leur oeuvre. A l'enquête fébrile où le passé vient éclairer le présent, et le présent éclairer le passé, se substitue un étrange magma verbeux bien peu compréhensible, duquel surnagent quelques indices qui suggèrent, peut-être, que ce monde n'est rien d'autre qu'une vaste simulation informatique, avec ses simulations dans la simulation, comme dans les passages les plus fumeux de Matrix. Mais quel dommage ! Quel gâchis ! Une conclusion en queue de poisson, à moins qu'il ne s'agisse d'un clin d'oeil à celle de Cleer, vient achever ce tableau d'un livre qui n'aura tenu presque aucune de ses promesses. Il y avait matière à fonder ici une véritable SF mémétique, en poursuivant le mouvement innovant esquissé dans Cleer ; il y avait matière à questionner l'émergence de modalités de contacts sociaux immuns à la transmission de l'épidémie mémétique et donc d'aborder la problématique post-humaine d'une façon très originale : c'est donc en toute logique fort déçu que je tourne la dernière page de ce livre, et déterminé à passer à autre chose...
Ne manquez pas l'avis de Efelle !
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Commentaires
Ca reste un bon bouquin pour moi, malgré son côté déroutant.
Soit dit en passant, la vision des musiques alternatives des auteurs de sf française est toujours aussi affligeante !
Ah, je n'ai pas abandonné ce livre, tout de même... Peux-tu détailler ce que tu veux dire par rapport à la vision des musiques alternatives des auteurs français ?
Pour moi, la question musicale du chapitre "Norn" est tout à fait secondaire. Elle fait partie d'une construction qui recherche le clin d'oeil et la référence, et je n'ai pas de problème particulier avec ça même si je ne pratique pas la référence en question.
Sans parler de questions de genre ou de courant musical, j'y ai vu des parallèles avec des groupes que je connais, j'ai instinctivement calqué des groupes que je connais sur les références.
Sur la question plus générale de la relative faiblesse de la fin, j'ai vécu ce bouquin comme un voyage plus que comme un but à atteindre. Alors oui, rétrospectivement, c'est peut-être pas le meilleur passage, mais ça amène à une conclusion bizarre, mais satisfaisante pour moi.