Conférence : la Singularité
Dans le cadre du Festival de SF de Lyon édition 2013, Olivier Nérot donnait une conférence sur la notion de singularité. Chercheur en sciences cognitives, O.N. tient à Lyon une galerie d'art digital. Il s'intéresse aux frontières, par exemple entre le vivant et le non-vivant, ou entre le naturel et l'artificiel.
La singularité m'évoque deux oeuvres littéraires : le Dune de Frank Herbert, bien sûr, où la société résulte d'une singularité involutive puisque le Jihad Butlérien n'est autre que l'élimination des machines pensantes, mais aussi le Cycle de l'Eschaton de Charles Stross qui se déroule, quant à lui, quelques temps après une singularité technologique. Si certaines considérations d'O.N. m'ont échappé voire même, parfois, rebuté, je dois dire que cette conférence m'a donné envie de me plonger dans de nouvelles oeuvres racontant la singularité. Parce qu'après tout, il n'a pas tort : c'est peut-être pour demain.
Partant d'une prophétie déjà mythique, à savoir celle du débarquement hypothétique des IA en 2045, O. N. rappelle que, dans l'Histoire de la vie, nul ne peut prédire à quels moments les événements peuvent se produire. Pour lui, seul ce qui peut être anticipé peut être reconnu et, par définition, il n'est pas possible de dire à quel moment la machine sera capable de simuler le fonctionnement de l'esprit humain ; par ailleurs, le schéma d'évolution linéaire "du Singe à l'Homme" est faux pour plusieurs raisons : comment croire, dans ces conditions, qu'il pourrait y avoir une seule ligne d'évolution de l'Homme à l'IA ?
La singularité représente pour lui une angoisse pour l'être humain puisqu'elle aura pour effet de limiter l'influence humaine sur l'évolution des sociétés : chaque époque se crée ses propres démons, politiques ou cybernétiques. Pourtant, l'Histoire de la vie, sur Terre, se caractérise par une succession de singularités, à commencer par la grande oxydation responsable d'une crise d'extinction massive mais aussi de l'évolution ultérieure d'organismes aérobies - dont l'espèce humaine fait partie. La singularité technologique correspond par conséquent à la même réalité : elle n'est a priori ni bonne ni mauvaise à l'échelle de l'Univers, même si elle aura sans doute d'importantes conséquences pour les sociétés humaines lorsqu'elle aura eu lieu.
L'appréciation de la singularité par l'être humain, pour O.N., est altérée par ses propres schémas de représentation, souvent simplistes et même binaires, qui rendent bien mal compte de la réalité de l'Univers dont les éléments sont tous en interaction. Ainsi, le chaos est souvent considéré comme négatif alors qu'il correspond à un état fondamental de l'Univers dont les éléments ne cessent d'interagir : le chaos, c'est la vie, et du chaos peut sortir un ordre favorable de la même façon que le coeur en état de fibrillation peut être relancé par un choc électrique. La singularité technologique, qu'il pense pouvoir provenir d'une convergence nano-bio-info-cogno (NBIC) sera sans doute un événement "catastrophique", de la même façon que sur un tas de sable, un seul grain peut entraîner une véritable avalanche, conduisant à une sortie brutale de l'état présent du système social vers un autre état que nous ne pouvons encore envisager.
De ce fait, la singularité lui semble être presque déjà perceptible : avec l'émergence des réseaux sociaux, qui entraînent une véritable accélération du temps des échanges (et en particulier médiatiques), apparaît une forme limitée d'intelligence de groupe dont la cartographie évoque très volontiers celle d'un réseau neural. La complexité grandissante des réseaux d'information à l'échelle du monde pourrait sans doute être l'une des pentes sur lesquelles viendrait à glisser l'avalanche de la singularité. L'être humain se sentant, à l'heure actuelle, au bord de cette frontière, juste sur le point de glissement, cela expliquerait les tensions sociales contemporaines : tiraillées entre la curiosité pour la singularité d'une part et d'autre part l'envie de confort au sein du présent état stable du système, les sociétés humaines sont elles-mêmes tendues à l'extrême. Concluant sur une phrase de Henri Bergson, "toute conscience est anticipation de l'avenir", O.N. rappelle que l'esprit de curiosité a sans doute permis à l'être humain d'inventer l'art, la science et d'une façon générale toute forme de civilisation - et qu'il serait sans doute regrettable d'y renoncer à présent.
La singularité m'évoque deux oeuvres littéraires : le Dune de Frank Herbert, bien sûr, où la société résulte d'une singularité involutive puisque le Jihad Butlérien n'est autre que l'élimination des machines pensantes, mais aussi le Cycle de l'Eschaton de Charles Stross qui se déroule, quant à lui, quelques temps après une singularité technologique. Si certaines considérations d'O.N. m'ont échappé voire même, parfois, rebuté, je dois dire que cette conférence m'a donné envie de me plonger dans de nouvelles oeuvres racontant la singularité. Parce qu'après tout, il n'a pas tort : c'est peut-être pour demain.
Commentaires
La déshumanisation des sociétés pose un vrai problème car je pense que c'est source, par ailleurs, de pathologies mentales. Mais ce n'est pas la science qui est responsable de cet état des choses : l'emploi que nous faisons de la technologie l'est, quant à lui...