Gigante : Au Nom du Père

Pierre Bordage est loin d'être un inconnu sur ce blog : de La Fraternité du Panca jusqu'à l'interview qu'il a bien voulu m'accorder, le conteur et ses univers à la fois semblables et nouveaux sont souvent cités ici. Que vaut ce nouveau livre, qui s'inscrit dans un nouvel univers développé en collaboration avec Alain Grousset ?

Résumé : 

Gigante : une planète géante et pourtant tellurique, à l'atmosphère orageuse, et où les distances énormes contraignent les gens à voyager pendant des mois voire des années. C'est sur Gigante que s'est exilé le père de Zaslo, abandonnant sa femme et son fils, le tout sur la foi d'une rumeur : une civilisation de géants aurait vécu là-bas... Vingt ans plus tard, Zaslo débarque à son tour sur Gigante : la technologie du voyage dans l'espace a progressé au point que son vaisseau a dépassé celui de son père, qui atterrira dans vingt ans. Alors, Zaslo pourra le tuer, accomplissant donc la vengeance que sa mère lui a fait jurer. Mais avant cela, il veut découvrir les restes de la civilisation des géants, histoire de pouvoir dire à son père, avant de l'éliminer, qu'il l'a privé de son rêve. Un long voyage commence grâce à l'aide précieuse de Madilia, une "ténébreuse" qui emprunte le même chemin que lui... Un voyage qui ne sera pas sans détours ni surprises, car une planète aussi étrange que Gigante recèle son lot de secrets, dont certains modifieront peut-être à jamais le rapport au monde et même la vie de Zaslo...

Rapport au monde : voici, au sens propre de l'expression, le grand sujet qui intéresse le conteur qu'est Pierre Bordage. Ses personnages principaux, souvent des pauvres types au début de leur histoire, voient leur rapport au monde changer - par la confrontation à un environnement ou à une société hostile mais aussi par l'amour - tout au long de l'évolution de l'intrigue. Sans surprise, l'auteur déclare souvent - y compris sans l'interview qui conclut ce livre - que chez lui, les personnages prennent le pas sur la vraisemblance scientifique et, sans surprise non plus, Gigante : Au Nom du Père est avant tout une épopée humaniste comme beaucoup des oeuvres de Bordage.

La comparaison s'imposera bien sûr entre Les Guerriers du Silence, La Fraternité du Panca et Gigante : Au Nom du Père. Si la récente pentalogie est un space-op' et si le présent livre, au contraire, adopte plutôt l'envergure d'un planet-op', les points communs sauteront aux yeux, les ambiances de l'univers du Panca et de l'univers de Gigante semblant identiques ou presque. On retrouvera donc des personnages qui se heurtent aux distances incommensurables de l'espace (et de la planétographie dans le cas présent), aux contraintes financières et en particulier à des taux de change proches de celui de l'usure et qui font la connaissance, pas toujours en conditions hostiles, de cultures étrangères presque à tous points de vue. Comme souvent chez Bordage, l'environnement est souvent plus hostile que l'humain sur Gigante : la voie de la moindre résistance, malgré quelques mauvaises rencontres, c'est encore celle qui passe par l'entraide entre prochains, y compris et surtout lorsqu'elle est désintéressée. Optimiste quant au salut de ses personnages, la pensée de Bordage déplaît sans surprise à ceux qui préfèrent les auteurs plus cruels : raison de plus, à mon sens, d'apprécier sa voix discordante.

Le mystère qui pèse sur Gigante, s'il est évoqué par distillations soignées, tiendra le lecteur dans l'expectative des dernières pages histoire d'en apprécier la résolution. Géants, flux électriques et voix qui voyagent par transport acoustique dans la lithosphère de la planète géante : il ne manque pas une bizarrerie, à la surface de cette planète aux onze lunes, pour intriguer l'amateur de SF, qui en tout état de cause devrait trouver son bonheur dans ce pot-pourri très bordagien. On le redira : pour l'auteur, la vraisemblance scientifique n'est pas la priorité. On ne s'interrogera donc pas plus que lui sur les raisons pour lesquelles cette curieuse planète géante ne s'effondre pas sur elle-même. Les amateurs de Bordage auront le plaisir, ou pas, c'est selon, de voir très bientôt Zaslo accompagné par son âme de coeur, parce qu'un voyage initiatique, cela s'entreprend à deux... et tant pis, ou tant mieux, si ce voyage pour une fois se termine d'une façon incertaine : parce que cela incite bien sûr à s'orienter vers la séquelle de ce livre, qui sera donc écrite par Alain Grousset et publiée en édition jeunesse...

Et aussi parce que, peut-être, ce n'est pas le seul voyage sur Gigante auquel nous convie Pierre Bordage. Espérons-le, en tout cas.