Anti-Glace
De Stephen Baxter, j'ai lu somme toute assez peu de romans, puisque je pense n'avoir lu que son Gravité. A tort ou à raison j'ai associé jusqu'à présent cet auteur à la hard-science : représentation erronée ou valide ?
Résumé :
En 1870, l'Empire britannique domine les terres et les mers grâce à sa main-mise sur l'anti-glace, une substance capable de réagir avec la matière ordinaire et de développer une puissance explosive considérable, à même d'alimenter des moteurs de machines défiant l'imagination. Sir Josiah Traveller est l'ingénieur renommé qui a, le premier, utilisé l'anti-glace comme arme et vaincu les Russes lors de la guerre de Crimée. Il répugne depuis à utiliser sa science et l'anti-glace à des fins militaires et se contente de construire des engins pour voyageurs. Ned Vicars est diplomate et sait à quel point la situation est tendue entre la France impériale et la Prusse de Bismarck : la démonstration de la supériorité scientifique des Britanniques à l'Exposition Universelle n'empêchera pas la guerre d'éclater sur le continent. Et, avec les premières défaites, voilà que les partisans français s'emparent d'un paquebot terrestre mu par la puissance de l'anti-glace tandis que Ned et sir Josiah sont piégés à bord d'un aéronef expérimental lancé vers l'espace... Le jeune diplomate et le vieux savant devront unir leur forces pour trouver le chemin du retour vers la Terre - et découvriront que celui-ci sera sans doute quelque peu détourné !
Il m'a été impossible, pendant une bonne partie de ce roman, de ne pas repenser au fameux diptyque lunaire de Jules Verne. Anti-Glace en constitue un hommage tout à fait assumé, à en croire la quatrième de couverture, erreurs scientifiques en moins - d'où cette amusante scène du repas servi en apesanteur, et des alcools fins servis en bulles. Le voyage n'est cependant pas fait ici pour l'agrément si même pour accomplir une performance : les voyageurs le sont par hasard et s'ils se mettent en route vers la Lune, ce n'est que parce qu'ils espèrent pouvoir y prélever l'eau nécessaire à leurs moteurs ! En toute logique, si le voyage lunaire occupe la majeure partie du temps fictionnel, on s'aperçoit vite que l'argument principal en est tout autre. Ce qui intéresse Baxter dans cette pièce steampunk très bien caractérisée, bien entendu, c'est le caractère uchronique de ce XIXème siècle qui n'a pas été. Uchronie faible, au départ, même si marquée par une abdication de la reine Victoria plusieurs décennies avant la fin de son règne tel que nous l'avons connu, mais uchronie de plus en plus marquée par l'ambition européenne et même mondiale du Royaume-Uni tel que le décrit l'auteur. Ici, la Grande-Bretagne semble avoir cessé d'être une île : ses monorails à l'anti-glace recouvrent toute l'Europe et y délivrent ses merveilles technologiques.
Ce monde, bien entendu, ne va pas bien - faisant mentir l'adage de Montesquieu selon lequel les nations commerçantes ont les moeurs douces. La rivalité entre la France et la Prusse n'est guère apaisée par la supériorité militaire du Royaume-Uni. Par ailleurs, celui-ci même se révèle expansionniste : le véritable imperium qu'il instaure est culturel tout autant que militaire - le "gros bâton" de l'anti-glace servant d'argument de vente ! Face à cette réalité, Ned - jeune narrateur de cette histoire pas si positiviste que celles de Verne - va se révéler capable d'une belle évolution, saisi entre les autres protagonistes de cette histoire : l'anarchiste sir Josiah, le nationaliste George Holden et Pocket, le silencieux représentant de la caste domestique britannique. Au fil des pages, l'uchronie s'approfondit avant d'aboutir à un état de tension internationale évoquant tout à fait les débuts de la guerre froide. La possession d'une technologie militaire dangereuse aboutirait-elle d'une façon mécanique à l'équilibre de la terreur ? L'idée semble fascinante. Elle achève en tout cas de caractériser Anti-Glace comme un très bon roman, aussi profond que tonique, à mettre sans modérations dans les mains curieuses...
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