Jupiter Ascending
Des Wachowski, j'ai déjà chroniqué ici l'excellent Cloud Atlas, vu il y a deux ans (déjà). Ces jours-ci sortait leur Jupiter Ascending, nouveau film qui, après l'anticipation hallucinée du précédent, promettait de nous emmener cette fois-ci vers un nouvel horizon lointain : celui de l'espace, et non plus celui du temps...
Résumé :
Jupiter Jones, une russo-américaine désargentée, gagne sa vie en aidant sa famille à faire le ménage dans des villas de riches. Elle est jeune, elle est belle, et pourtant, elle ne rêve que d'astronomie et de la planète gazeuse dont elle porte le nom, par la volonté de son père astrophysicien décédé avant sa naissance. Elle ignore une chose : au-delà de l'atmosphère terrestre, l'univers est bien plus vaste qu'elle ne pourrait le croire... et l'espèce humaine est bien plus ancienne que ne l'affirme la paléontologie. La Terre n'est en fait même pas un pion sur l'échiquier galactique, tout juste une création de la très puissante famille Abrasax, qui dirige une entreprise industrielle multimillénaire. Hasard cosmique, Jupiter Jones possède la même combinaison de gènes que la mère assassinée des trois héritiers Abrasax : au yeux des lois galactiques, cela suffit à en faire la réincarnation, et de ce fait la propriétaire légitime de la Terre... Jusqu'où iront les Abrasax pour la déposséder de son héritage ? Pour moissonner ce qui, pour eux, n'est qu'une source de profit ?
Disons-le sans hésitation : Jupiter Ascending est beau, s'entend, beau d'un point de vue tout visuel. Ce voyage dans l'atmosphère gazeuse de la planète Jupiter, ces engins formés de fragments sans lien apparent, et même un certain bestiaire - du "Lycanthien" qui tient l'affiche au côté de l'héroïne jusqu'à cet intéressant homme-éléphant qui barrit à la barre d'un vaisseau spatial - sont à la fois baroques et modernes. A travers ces images, on devine une civilisation si ancienne qu'elle se permet de rivaliser avec la durée des temps géologiques, et même de piocher sans y penser dans la corne d'abondance de la génétique. Ces êtres différents, évidentes chimères d'humain et d'animal, humanoïdes, reptiliens, sont-ils extraterrestres ou bien simples produits du génie génétique ? Cette culture bureaucratique où un titre et un sceau royal peuvent se monnayer contre quelques crédits, est-elle avancée ou bien est-elle décadente ? Cette conclusion où Jupiter Jones utilise en fin de compte son pouvoir considérable pour choisir la vie qu'elle veut vivre, n'est-elle pas audacieuse ? On acceptera plus ou moins volontiers de ranger dans la colonne positive tous ces développements - habituels chez les Wachowski - autour d'un vieux fond cyberpunk peut-être pas toujours bien digéré. Les entreprises capitalistes sont, dans l'univers de Jupiter Ascending, à même de discuter la légitimité de l'Etat, réduit ici à ses plus simples expressions - une bureaucratie exaspérante et un bras armé peut-être inspiré par Star Trek, dans ses formes. On sait depuis Matrix que, pour eux, la simple humanité n'est qu'une proie pour des entités beaucoup plus puissantes - intelligences artificielles, corporations et même d'autres êtres humains : le choix même du terme de "moisson" - qui doit se faire avec compassion ! - éclaire bien vite quand au fait que, pour les puissants, l'être humain n'est qu'une ressource matérielle comme d'autres, une leçon qui mérite bien, allez, d'être sans cesse répétée à notre époque.
Mais à part ces quelques lueurs, que ce divertissement est pondéreux pour ne pas dire douteux ! Cela démarrait en réalité bien mal, avec ce plan prénatal grotesque sur le ventre enflé de la mère de Jupiter Jones, où le nombril proéminent fait comme un rappel obscène de la grande tache rouge. Tuant alors cinq minutes plus tard environ les trois quarts du suspense concernant le destin que les Abrasax réservent in fine à la Terre, les Wachowski font le choix décidé de tomber à nouveau dans les errements les plus dantesques d'un Matrix, à ceci près que Jupiter Jones se comporte comme une véritable demoiselle en détresse dont les cris, à défaut d'assourdir le beau et ténébreux "Lycanthien", ne manqueront pas d'agacer les spectateurs les plus patients. Entre deux tunnels de scènes de combat - en bullet-time, bien sûr - le public ne manque pas de subir quelques nouvelles scènes grotesques : ainsi Jupiter Jones éponge-t-elle le sang du beau et ténébreux mercenaire extraterrestre avec une serviette hygiénique avant, quelques séquences plus tard, de se laisser persuader au mariage par l'un des fils de sa précédente incarnation. Je crois pouvoir affirmer, sans même avoir vu Twilight, que nous sommes ici en présence de l'héroïne la plus stupide et la plus inutile que le cinéma ait proposée depuis le début des années 2000 : même Trinity (malgré ses sacs poubelle) avait un mérite, celui de l'intelligence.
Si agaçante qu'elle soit, Jupiter Jones n'empêchera pas le spectateur attentif d'être saisi de quelques acidités gastriques au détour de diverses énormités. "Ce qui compte, ce n'est pas ce que l'on fait, c'est ce que l'on est", proclame sur un ton docte l'un des alliés de l'héroïne. Ah. Je suis confondu. Au moins Luc Besson dans Le cinquième Elément (dont le présent film semble par moments se rapprocher d'un point de vue graphique) faisait-il l'effort d'esquisser une certaine philosophie cosmique aberrante et donc rigolarde, alors que le pire ici est que les personnages se prennent au sérieux et tirent une tronche longue de trois unités astronomiques... Il est vrai qu'il m'était difficile, après pareille bêtise, de me montrer indulgent avec Jupiter Ascending : j'en ai retenu, en fin de compte, une toile bien décevante, celle d'un monde peut-être trop grand pour un seul film, et en tout cas trop mal exploité pour en peupler un grand... Quel accueil le public va-t-il réserver à cette oeuvre ? Tiède, je l'espère. Le space-opera mérite mieux.
Commentaires
Concernant les Wachowski, je pense qu'ils s'en remettront, et du coup je suis intrigué par ta conclusion : que veux-tu dire ?
Que les Wachowski et leurs agents arrêtent de lorgner vers "Matrix" pour commencer, s'ils veulent revenir derrière des caméras. Il s'agit d'un film du siècle passé, qui a séduit un public versatile de post-adolescents dont la plupart n'ont sans doute plus rien à foutre de leurs interrogations de l'époque. Le public, de nos jours, ne s'intéresse pas aux divagations sur la nature du réel - et sur son éventuelle subjectivité. Les peurs de notre époque ne sont plus les mêmes : "Matrix" possède l'intérêt d'être un fossile, mais à part les paléontologues, personne ou presque sur cette planète ne s'intéresse aux fossiles...