Zombie Nostalgie
Offert par l'éditeur il y a plusieurs semaines, je n'ai pu lire ce livre puis le chroniquer qu'avec pas mal de retard - le travail que je fais au quotidien a ce défaut, parfois, qu'il finit par occuper tout mon temps intellectuel et m'interdit de penser à autre chose. Quoi qu'il en soit, je dois dire qu'à part le Zombillenium d'Arthur de Pins, il s'agit sans nul doute d'une première sur mon blog : rien de moins qu'une... invasion zombie ! Une lecture qui s'inscrit - je pense - dans le cadre du Challenge Dystopie de Valunivers.
Résumé :
Labofnia : une île de l'Atlantique Nord, découverte, oubliée puis redécouverte en pleine Première Guerre Mondiale, abrite une population pour le moins surprenante. Il faut dire que les naissances ne s'y font pas de la façon naturelle pour l'espèce humaine : un beau jour, le narrateur de cette histoire y vient au monde et s'y éveille, sans aucun souvenir dans un corps adulte, engourdi, à la démarche pataude. Repéré par certains de ses nouveaux concitoyens, il doit assister à toute une session de cours destinés à l'adapter à sa nouvelle vie... si tant est que l'on puisse l'appeler ainsi. Car les Labofniens semblent à peine vivants : tenus à l'écart des autres pays humains qui leur envient leur longévité mais redoutent leurs nombres toujours croissants, ils ont une température plus basse que la normale, ne dorment pas et n'éprouvent aucune sensation, agréable ou désagréable. Devenu Johannes van der Linden, le narrateur se voit attribuer un logement, affecter à un travail administratif destiné à combler le vide et l'absurdité de sa nouvelle vie... Mais sur Labofnia, certains ne se résolvent pas à ce destin. Entre le gouvernement qui espère une réelle ouverture au monde et certains opposants prêts à tout pour éprouver des sensations, tout montre que le destin de l'île pourrait changer d'une façon brutale...
Mon absence de goût pour les "mondes noirs" et le glauque est bien connu de la blogoSFFFère. Aussi ce livre partait-il avec un handicap : des zombies, que je ne tiens pas en beaucoup plus haute estime a priori que les vampires, une morne vie "après la vie" où les personnages comblent leur ennui à force de fruits pourris, de films usés jusqu'à la corde et d'une façon générale tentent de s'occuper en singeant les habitudes des vivants - du travail aux distractions en passant par l'éventail des relations sociales, qu'elles soient amoureuses, sexuelles ou même jalouses. J'ignore si l'île porte ce nom dans la version originale norvégienne ou bien s'il s'agit d'une facétie du traducteur... mais Labofnia doit moins à l'étrange et décalée Laputa de Jonathan Swift qu'au très contemporain et très nihiliste "bof" post-ado, pardon, post-apo.
Malgré ces très évidents défauts - peu de livres tentent le tour de force de raconter une histoire où les personnages, accablés par l'absurdité de leurs pseudo-vies, n'ont en fait rien à faire de leurs jours inutiles - on se rend compte que l'auteur parvient peu à peu à construire quelque chose d'assez cohérent. La population de Labofnia est loin d'être tout à fait résignée à son étrange destin : il existe une minorité qui, par la torture qu'elle s'inflige, parvient à éprouver - enfin - voire même à évoquer des images mentales colorées qui pourraient bien être, peut-être, des souvenirs d'une vie antérieure. Au sein de cette minorité, quelques-uns connaissent le secret terrifiant grâce auquel n'importe quel Labofnien peut se mettre à imiter en permanence la vie réelle des gens du dehors. Un secret si épouvantable qu'il condamne à terme l'existence même de l'île... Mais comment tuer des êtres qui sont déjà morts et semblent tirer leur substance de l'air qui les environne ?
Au-delà de sa première et trop évidente leçon - vivre, c'est souffrir - Zombie Nostalgie offre une deuxième lecture bien plus originale et bien plus brillante, presque solaire : dans un monde où l'ennui et le nihilisme ont vaincu, l'espoir devient l'argument des rebelles... Et en effet, la nostalgie du zombie n'est pas pour une vie qui n'existe plus et qui n'a peut-être même jamais existé : elle s'exerce à l'égard d'un monde qui est à venir. Etrange et déroutant, Zombie Nostalgie parvient à surprendre et au-delà par sa construction inhabituelle : peut-on attendre mieux d'une dystopie ?
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