La Terre bleue de nos Souvenirs
On commence en ce qui me concerne les rattrapages de la short-list pour le Prix des Blogueurs 2016 ! Alastair Reynolds, déjà connu en ces lieux et que j'ai eu le plaisir de rencontrer aux Intergalactiques de Lyon édition 2016, a donc l'honneur du premier de ces deux rattrapages...
Résumé :
Le XXIIème siècle. Il n'y a plus de guerres, et l'humanité a jugulé le réchauffement climatique. Sur Terre et dans sa banlieue, la connectivité réseau est optimale, ce qui garantit la superposition au monde réel d'une surcouche virtuelle : dans un contexte où l'intelligence artificielle est sous étroit contrôle et où le téléchargement des esprits est devenu possible, le crime n'existe plus et il devient même difficile de mourir d'une façon définitive. C'est pourtant un décès, celui d'Eunice Akinya, qui vient perturber le bel ordonnancement du monde organisé : fondatrice d'une puissante entreprise de transport et d'ingénierie spatiaux, elle laisse derrière elle une richesse immense et plusieurs énigmes. Deux de ses petits-enfants, l'éthologue Geoffrey qui veille sur un clan d'éléphants près du berceau africain de la famille, et l'artiste Sunday qui vit sur la Lune au coeur de la zone non surveillée - dernier endroit où échapper aux regards des surveillants numériques - vont renouer leurs liens à la faveur de leur quête. Sans se douter que celle-ci pourrait bien impliquer des factions plus puissantes encore que la famille Akinya - et peut-être même aller jusqu'à menacer leurs vies et celles de leurs proches...
Exploration spatiale débridée, frontière de plus en plus floue entre la conscience humaine et ses moniteurs artificiels, ambition et génie humains au-delà de toute limite : bienvenue dans un monde où l'expression sense of wonder prend toute sa valeur. Il est rare, de nos jours, de croiser des oeuvres de SF aussi positivistes et je crois pouvoir affirmer que celle-ci se rattache fort bien à cette nouvelle vague - pourvu qu'il s'agisse d'une lame de fond ! - que l'on appelle solarpunk. Car solaire, elle l'est en effet, cette SF-là : le rêve d'Eunice Akinya est celui des étoiles et, même dans l'espace profond, y a-t-il meilleur phare que celui du Soleil tout proche ? L'ensemble donne lieu à de fort belles images qu'il est dommage de trouver parasitées par une inutile nostalgie, laquelle transpire dans le titre même du roman.
Dans ce monde aux apparences utopiques, la disparition des anciens problèmes a entraîné l'apparition de nouveaux. L'intelligence artificielle - à jamais associée aux derniers conflits - a été bannie par de nouvelles lois, ce qui évoque bien volontiers le passé lointain de Dune... La résolution du dérèglement climatique a permis la colonisation des marges continentales et voilà que deux Organisations des Nations Unies se partagent le monde... celle des continents, et celle des océans ! Dichotomie qui préfigure bel et bien une volonté de transition post-humaine fondée sur la biologie, incarnée par les "Pans" les plus radicaux. Dans ce contexte, les êtres humains ordinaires - on n'ose dire "à l'ancienne" dans la mesure où tous, ou presque, ont le cerveau farci d'implants - ne sont toutefois pas dépassés : l'avenir semble radieux, même si dans cet univers les capitalistes sont toujours des capitalistes et que leur loi reste celle du profit, et de préférence, le plus immédiat possible.
La lenteur avec laquelle l'intrigue du roman se met en place est en réalité son principal défaut. Dans le jeu de piste à l'échelle du système solaire où Eunice entraîne post-mortem ses petits enfants, les personnages voyagent plus vite que le lecteur et le temps, parfois, semble s'allonger autant que les délais de connexion entre la Terre et la ceinture de Kuiper. Dit d'une autre façon, cela prend son temps, c'est long, et ça ne s'accélère qu'à la fin, mais cela le fait d'une façon assez intéressante pour que l'on se dise après coup que cela en valait la peine. L'ambition de ce roman est immense : il s'agit, rien de moins, que de faire vivre un rêve, celui de l'espace érigé en ultime frontière. Et les plus beaux des beaux rêves ne sont-ils pas ceux qui durent longtemps ?
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