Latium tome 1

Un premier roman, signé Romain Lucazeau, qui a fait parler de lui au début de l'Automne : les avis étaient, on va dire, tranchés quand à l'intérêt de ce volume dont la quatrième de couverture invoquait - rien de moins - que les noms de Dan Simmons et de Iain M. Banks. J'ai tendance à me méfier des engouements, surtout lorsqu'ils invoquent des auteurs décédés ou ayant survécu à leur oeuvre ; et néanmoins, à force d'en entendre parler par certains de mes blogoconfrères, en particulier aux Utopiales de Nantes édition 2016, l'envie m'est venue d'aller y voir de plus près. La dernière page de ce premier tome de Latium étant tournée, vous savez ce qu'il me reste à faire...
Résumé : 
L'Homme n'est plus, éliminé par l'Hécatombe avant d'avoir accompli son premier pas hors du système solaire. Subsistent encore les Intelligences, qui descendent des automates jadis conçus par l'Homme pour l'entretenir, et qui ont hérité de l'Histoire et du génie de l'espèce éteinte... mais qui restent malgré tout contraintes par le Carcan informatique destiné à protéger l'Homme et la vie contre toute folie des machines pensantes. Bien des siècles après l'extinction de l'espèce humaine, alors que l'expansion des barbares commence à peser aux frontières de l'Imperium, certaines Intelligences ont choisi l'exil : loin du coeur de l'Urbs des machines, dans les Limes, il existe peut-être un moyen de résoudre l'insoluble équation. Plautine et Othon vouent la même foi au retour de l'Homme, sans pour autant l'envisager selon les mêmes voies. La première, fragilisée par une dissociation schizophrénique de ses processus intellectuels, entreprend une dangereuse expérience destinée à hybrider l'intelligence d'une machine à un organisme humanoïde chimérique. Le deuxième, un vieil allié de Plautine et proconsul en disgrâce d'un système stellaire inutilisable, a entrepris de terraformer en cachette un monde entier pour l'offrir à un peuple d'hommes-chiens de sa fabrication. Aussi, quand Plautine détecte le signal témoignant de ce que les barbares sont de retour et disposent maintenant d'une technique de vol interstellaire plus efficace que ne l'avaient prédit les aruspices de l'Imperium, démarre une chaîne inexorable d'événements desquels dépendent les destins de l'Urbs, des Intelligences, de leurs créations... et à travers eux, celui de l'espèce humaine défunte...
Ce premier tome de la dilogie Latium se lit bien, et c'est bien la moindre des choses au vu du parcours de l'auteur (normalien passé par la rue d'Ulm). On pourra certes sourire devant l'abondance des notes de bas de page et n'y voir qu'un goût du travail bien fait, ou bien s'en offusquer : ayant pour manie de ne pas les lire de toute façon, j'ai choisi le premier terme de cette alternative. Latium n'est de toute façon pas un cours d'Histoire antique, d'autant moins que cet univers est en réalité uchronique : l'Imperium des Intelligences ne fait jamais que singer - ou modéliser in silico - celui d'Auguste. Le Carcan, transparente citation aux trois lois de la robotique d'Isaac Asimov, a rendu les machines pensantes folles après l'extinction des derniers êtres humains - et tout comme le Bon Docteur parvint à écrire toute une Histoire des robots en ne cessant jamais d'explorer les contradictions logiques de ces trois postulats érigés en absolus, Romain Lucazeau conçoit un univers cohérent d'automates ayant dépassé les formes qui leur avaient été conférées par leurs créateurs humains, ayant même surpassé leurs propres réalisations, et pourtant torturés par leur péché originel, à savoir cette impuissance dont ils ont fait preuve au moment de la mort de leurs dieux. Leur acharnement à chercher la moindre trace d'un être humain est vain, et ils le savent, mais leur programmation primordiale ne leur permet pas de faire autre chose. Le véritable déséquilibre sur lequel repose l'intrigue de Latium, c'est toutefois la contradiction interne à la première loi, pardon, au premier terme du Carcan : celui-ci impose à la fois le respect de la vie des envahisseurs et la défense de l'espace humain - au cas où ses propriétaires légitimes viendraient à faire leur retour. Il y a bien là de quoi rendre fou n'importe quel robot asimovien !

Un bon space-opera est certes fondé sur un déséquilibre interne satisfaisant, mais celui-ci doit être accompagné de préférence par une esthétique sinon neuve, du moins originale. Le genre de la tragédie antique appliqué au space-opera n'est certes pas usé jusqu'à la corde, même si l'on doit reconnaître que Lucazeau n'invente ici rien de très nouveau. L'uchronie sous-jacente à Latium justifie en tout cas la transposition de l'esthétique gréco-romaine, laquelle s'illustre à travers le langage recherché des protagonistes - on croit par moments reconnaître des dialogues dans la veine de ceux de l'Iliade - mais aussi leurs noms, le dualisme philosophique marquant leur passé - platoniciens contre pythagoriciens - et cette conception d'un temps politique cyclique avec ses alternances de tyrannie et de république. Dans l'univers de Latium comme dans le nôtre, l'Imperium n'en finit pas de tomber : tout comme Byzance a tenu mille ans de plus que Rome, les institutions de l'Urbs survivent à l'extinction de leurs créateurs. Et c'est ainsi, au fond, que dans Latium les automates n'héritent pas de la civilisation humaine par défaut : l'humanité, c'est une idée ; les machines pensantes étant capables d'entretenir cette idée, ne sont-elles pas au fond les post-humains de cette histoire ? Mais des post-humains à contrecoeur, et peut-être in extremis, nostalgiques à jamais de l'époque où ils partageaient le destin de leurs créateurs si imparfaits, nostalgiques au point de s'intéresser d'un peu trop près à la corne d'abondance génétique offerte par l'évolution...

Au terme de ce premier volume, voici en effet que l'espèce humaine disparue acquiert sans le savoir de nouveaux descendants : les hommes-chiens d'Othon, dont le modelage ne parvient pourtant pas à extirper la fidélité génétique imprégnée par la longue coexistence avec l'être humain - à ce sujet, très beau passage évoquant l'alliance renouvelée depuis le Pléistocène entre l'Homme et le chien - et l'association intime entre l'homme et la machine fomentée par Plautine, à moins que ce ne soit l'un de ses aspects, ce qui revient toutefois au même. Certes, il est dérangeant de voir l'entrain avec lequel Romain Lucazeau laisse ses Intelligences jouer à Dieu, et d'autant plus dans un contexte respirant le fixisme - on ne peut en tout état de cause pas ne pas mentionner que l'expression fossile vivant n'a aucun sens en évolution : les coelacanthes actuels ne font que paraître identiques à ceux d'il y a trois cents millions d'années car ils ont, en réalité, connu autant d'années supplémentaires d'évolution. Rien d'irréparable, cependant : l'histoire de Latium est belle et passionnante, pour le moment à tout le moins ! Reste à voir si le prochain tome tiendra les promesses du premier.

Commentaires

Gromovar a dit…
"tout comme Byzance a tenu mille ans de plus que Rome, les institutions de l'Urbs survivent à l'extinction de leurs créateurs" Joli.