Seuls le film
Les visiteurs de ce blog savent que je suis un amateur de la BD de Gazzotti et Vehlmann, la série Seuls. J'ai commencé à m'y intéresser dès son premier album, sorti en 2005, et au fil des ans je n'ai jamais cessé de la lire. Douze ans et dix tomes plus tard (le dernier datant de cet automne), Seuls semble devenir une franchise avec la sortie de son adaptation au cinéma ! Je ne pouvais manquer d'aller voir ce que le grand écran allait faire de cette série si intéressante et, en même temps, de plus en plus frustrante pour son lecteur...
Résumé :
Leila est une jeune fille passionnée de bolides, un goût qui lui vient de son grand frère plongé dans le coma. Quand elle apprend qu'il est renvoyé en chambre stérile, sa vie lui semble insupportable et la voilà prête à exploser. Un matin, voilà qu'elle se réveille dans son lit sans bien se souvenir des événements du jour précédent. Il n'y a personne chez elle, ni nulle part dans son quartier : maisons vides, voitures abandonnées, les seuls mouvements sont ceux des chiens et des dispositifs automatiques. A l'angoisse va succéder la panique lorsqu'elle découvre que c'est toute la ville qui est désertée - ou presque... Deux enfants plus jeunes qu'elle, Camille et Terry, cherchent eux aussi à comprendre ce qu'il s'est passé. Ils tombent très bientôt sur Dodji, un adolescent plus âgé, aussi taiseux que solitaire, puis sur Yvan, gosse de riche un peu trouillard sur les bords qui s'est réfugié dans l'immeuble où travaillait son père banquier. Ce qu'ils ne savent pas encore, c'est qu'ils ne sont pas seuls en ville... Cet individu armé de couteaux et masqué qui vient interférer dans leur quête est-il la plus grande menace qui pèse sur eux ? Et ce brouillard brûlant et empoisonné qui envahit la ville, d'où vient-il ?
L'adaptation d'une oeuvre écrite au cinéma est un art délicat : les amateurs de Dune le savent depuis très longtemps. Même si depuis quelques années les geeks savent que le Marvelverse pourrait bien finir contredire cette loi des univers de fiction selon laquelle adapter c'est trahir, une adaptation de BD à l'écran est toujours un exercice glissant pour ne pas dire casse-gueule. Il faut bien reconnaître que la chose a été pour ainsi dire intégrée par le public : il suffit de voir les inquiétudes que presque tous évoquent aussitôt lorsque l'on en vient au sujet du film Valérian prévu pour juillet prochain ! Concernant Seuls, il y avait bien des motifs d'inquiétude potentiels : saurait-on choisir des acteurs convaincants pour tenir ces rôles si peu conventionnels ? Comment habiller les rues désertes de Fortville dans le monde réel pour qu'elles apparaissent à la fois inquiétantes et familières ? Comment introduire la mythologie de la série sans perdre les spectateurs dans les méandres d'une BD dont la publication s'étire depuis une décennie ? La construction avait a priori tout d'une gageure.
Le premier écueil sur lequel Seuls vient buter, c'est bien sûr celui des acteurs. Leur jeu n'est pas en cause : de toute évidence, ils sont bien dirigés par les adultes qui les ont choisis... Le problème, c'est - une fois encore ! - cette manie détestable et incompréhensible qu'ont les responsables du casting de choisir, d'une façon systématique, des acteurs plus âgés que les personnages qu'ils sont censés incarnés. Leila est censée avoir treize ans et non pas quinze. Terry, cinq et non pas dix au moins... Il paraît qu'il est plus simple de faire jouer des acteurs plus âgés : mais dans ces conditions, pourquoi Spielberg n'a-t-il jamais reculé à l'idée de faire jouer dans ses films des enfants y compris en bas âge ? Cette manie vient ici handicaper le film d'une première façon : non content de déranger les fans de la première heure, les choix faits pour le casting diminuent la crédibilité du contexte. On n'est plus ici face à des enfants isolés dans une ville puisque deux - voire trois - d'entre eux sont d'ores et déjà des adolescents aussi charpentés que capables de se débrouiller seuls.
Les choix graphiques de ce film lorgnent sans trop de discrétion vers l'esthétique post-atrop et dystopire devenue (hélas) trop mainstream ces dernières années. On perd ici les couleurs chaudes et "jolies" qui donnaient un contrepoint dérangeant à une intrigue inquiétante, et habillaient en fait à la perfection le monde hostile de la BD : se substituent à elles petits matins glauques, rues grises et brouillard mal défini. Ici, ce n'est pas la peur à l'état pur qui est distillée par les rues de Fortville, c'est plutôt le chaos, le néant et l'entropie, et c'est d'une façon claire et nette le deuxième écueil qui vient ébranler tout le film : il paraît qu'on est au même endroit, mais on n'y croit pas... C'est pourtant sur le troisième écueil que le navire tout entier achève de se briser : les scénaristes ont fait le choix de concentrer des événements tirés des cinq premiers albums en un seul film, nécessitant des court-circuits scénaristiques périlleux pour la tension de l'ensemble. La mort de Dodji dans le quatrième album avait tout d'un déchirement car le lecteur s'était attaché à lui et à sa personnalité si originale... Ici, sa mort puis sa résurrection interviennent en moins de dix minutes : comment éprouver ces événements avec l'intensité qu'ils méritaient ?
Que retenir du film Seuls ? Hélas, très peu de choses. Les acteurs ont fait de leur mieux pour jouer avec les mauvaises cartes qu'on leur avait remises et c'est tout à leur honneur, et si le film déçoit, ce n'est certes pas de leur faute...
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