The Collapsing Empire

J'ai eu l'occasion de croiser la plume de John Scalzi à plusieurs reprises : avant ce blog, par l'intermédiaire de sa série Le vieil Homme et la Guerre, et depuis grâce à son fameux Deus in Machina dont j'étais ressorti conquis. Ce nouveau roman, dont la belle illustration fait un pied de nez aux pleurnichards selon lesquels on ne mettrait plus de nos jours des astronefs en première de couverture que pour mieux tromper sur la marchandise, est le premier d'une série de space-opera dont les droits ont déjà été vendus à fins d'adaptation. Autant dire que ce livre apparaissait dans mon champ de vision avec pas mal d'attraits : me connaissant, il était peu vraisemblable que je résiste bien longtemps...
Résumé : 
L'Interdépendance unit les différents systèmes stellaires colonisés par l'être humain depuis plus de mille ans. Les vaisseaux affrétés par les guildes, que dirigent des maisons nobles, circulent à travers le Flux, dont les courants sont le seul moyen de franchir les distances interstellaires. La Terre est perdue, coupée de l'Interdépendance par une rupture des courants qui l'y reliaient ; les systèmes habités ne possèdent rien d'autre que des habitats sous dôme construits sur des mondes inhabitables ou même des stations orbitales. Rien d'autre, à l'exception de la planète Fin, la seule habitable qui soit accessible par les courants du Flux, et dont le système est le plus éloigné de celui de Concentration, là où réside l'Emperox. Sur Fin, qui fait office de terre d'exil pour les éléments perturbateurs de l'Interdépendance, le duc régnant se débat contre une énième rébellion, au terme de laquelle il perdra peut-être son duché voire sa tête... Sauf qu'un vaisseau tout juste arrivé dans son espace apporte avec lui des nouvelles alarmantes : éjecté hors du Flux en plein au milieu du trajet, il n'a pu s'y réinsérer qu'à force de prouesses inouïes. Pour le comte Claremont de Fin, physicien et ami de l'Emperox Attavio VI, c'est la preuve de la validité de son modèle qui prédit l'effondrement du Flux et donc la disparition des voies commerciales sans lesquelles les systèmes humains ne peuvent survivre, Interdépendance oblige... Mais à Concentration, l'Emperox Attavio est mourant, sur le point de laisser son trône à sa fille Cardenia, laquelle n'a jamais été préparée à occuper ce poste. Une fois couronnée, Cardenia va devoir faire face aux machinations de la puissante famille Nohamapetan, qui pourrait bien être mieux informée qu'elle-même au sujet de la menace qui pèse sur l'Interdépendance...
Tout space-opera d'envergure galactique repose bel et bien sur la question du voyage interstellaire : des sauts hyperspatiaux de Star Wars - qui ressemblent quelque peu à ceux de l'Histoire des Temps futurs d'Isaac Asimov - aux repliements de l'espace réalisé par les Navigateurs de la Guilde dans le Cycle de Dune, le lecteur est habitué à voir des machines contredire d'une façon ou d'une autre les lois de la physique et donc s'affranchir de la limite imposée par la vitesse de la lumière. John Scalzi se paye ici le luxe d'essayer autre chose. La vitesse de la lumière est une limite absolue et aucune machine est en mesure de la dépasser. Le Flux est un phénomène naturel que l'on peut exploiter pour voyager dans un sens ou dans l'autre afin de raccourcir le temps de transit entre deux systèmes stellaires plus ou moins proches dans l'espace. On peut voyager d'un bout à l'autre de l'Interdépendance, en empruntant parfois plusieurs courants de suite, ce qui ajoute à chaque fois un délai supplémentaire. Concentration, au cœur de l'Interdépendance, bénéficie d'un emplacement privilégié car un grand nombre de courants y débouchent et en partent : une fois de plus, tous les chemins mènent à Rome et en partent. Les lointains ancêtres de Cardenia, fins commerçants et fins politiques - et dans cet univers, cela veut dire à peu près la même chose - ont adopté ce système-là plutôt qu'un autre comme leur capitale pour cette seule et unique raison. Et pour mieux garantir leur suprématie politique, ils ont fait en sorte que chaque système de leur empire serait dépendant des autres : qui contrôle Concentration, contrôle le Flux, et qui contrôle le Flux...

A la différence toutefois d'un Frank Herbert qui, dans son schéma, fonde la fragilité de l'Imperium de Dune sur le caractère limité d'une ressource matérielle - en l'occurrence, l'Epice - John Scalzi propose plutôt de fonder celle de son Empire sur les bienfaits d'un service gratuit rendu par l'Univers lui-même. Toutes les sociétés humaines, jusqu'à l'ère spatiale, tiennent l'air pour une ressource disponible d'une façon si évidente que l'on y pense pas : si, dans l'Interdépendance, les sociétés insulaires que représentent les habitats sous dôme ou spatiaux savent n'être pas pérennes sans les ressources apportées à intervalles réguliers depuis d'autres systèmes stellaires, elles tiennent par contre pour acquis le Flux et ses courants qui rendent le commerce interstellaire possible. Or le Flux est un phénomène physique en fin de compte capricieux à l'échelle du temps long, et c'est un pur hasard, pour l'Interdépendance, d'avoir pu bénéficier d'une telle stabilité de ses courants pendant une si longue période. Voici que ce moment va prendre fin, détricotant le tissu du commerce et menaçant de faire imploser l'Empire tout entier : en fait, en l'absence du Flux, ce sont toutes les colonies humaines qui sont menacées car aucune n'est stable dans le temps long, pas même Concentration, comme le montre l'effondrement d'un système isolé de l'Interdépendance quelques siècles après la perte du chemin vers la Terre... Toutes les colonies sauf une seule, celle de Fin, qui en tant que seule planète habitable de l'Interdépendance possède un écosystème complet et fonctionnel, à même de soutenir la présence de l'espèce humaine dans le temps long. Ce contexte est bien entendu ignoré de l'immense majorité, y compris des personnages les plus importants : même ceux qui entendent quelque chose à l'instabilité du Flux se méprennent sur la réalité du risque... et construisent leurs stratégies sur des interprétations erronées. Tel est le piège cosmique où Scalzi envoie ses personnages, un piège auquel se superpose l'édifice d'un complot bien humain. The Collapsing Empire est le premier tome d'une série à la forte ambition, de l'envergure d'un Dune et d'un Hyperion : le talent de Scalzi étant ce qu'il est, nul doute qu'il saura en tirer bien des surprises et satisfaire le goût de son lecteur pour le sense of wonder associé à un humour corrosif. En peu de mots, bravo ! Et méfiez-vous des imitations...

Ne manquez pas l'avis très autorisé de Gromovar, ni celui de FeydRautha.

Commentaires

Gromovar a dit…
C'est bien, hein :)
Anudar a dit…
Ô combien !
Samuel Ziterman a dit…
ça donne envie, je le note dans un coin, en espérant une traduction un jour.
Anudar a dit…
À mon avis, ca le sera.
yogo a dit…
Tu donnes envie... j'espère moi aussi que la traduction arrivera vite.
Anudar a dit…
La chose promet d'être un hit, à tous points de vue. Je serais très surpris de ne pas en voir sortir une trad'.
Le Maki a dit…
La trad tant attendue est arrivée. Aussitôt traduit, aussitôt lu et aussitôt apprécié. J'y ai trouvé plein de défauts mais je me suis régalé. Vivement la suite.

Et c'est vrai que c'est très visuel et que ça peut être sympa sur grand ou petit écran !
Anudar a dit…
La suite est encore meilleure... crois-moi !