A Colder War
Je connaissais déjà - grâce à son Univers de la Laverie - le goût très sûr de Charles Stross pour l'horreur SF : grâce à cette nouvelle (disponible entre autres dans l'anthologie anglophone New Cthulhu : The Recent Weird) dont j'ai entendu parler grâce à la chronique d'Apophis, j'ai constaté que ce goût ne se limite pas à cette série par ailleurs fascinante...
Résumé :
Roger est un analyste d'une agence de contre-espionnage des Etats-Unis : sur son bureau, se trouve un dossier des plus inquiétants, dont il va devoir tirer un résumé pour le bénéfice du futur Président. La Terre s'inscrit dans un univers plus vaste, peut-être même trop vaste pour une espèce aussi jeune que l'espèce humaine... et comment le faire entendre à un parfait néophyte ? Comment faire comprendre en quelques mots le fruit d'années passées à fouiller les noirs secrets de l'évolution des espèces, à sonder les profondeurs glacées du lac Vostok... voire même à franchir les portails qui séparent la Terre d'autres mondes aussi déserts qu'agonisants ?
En 1985, Robert Zemeckis demandait à Christopher Lloyd, qui incarnait alors "Doc" Emmett Brown dans Retour vers le Futur, de faire s'esclaffer son personnage à qui on venait de révéler - en 1955 - que trente ans plus tard Ronald Reagan serait devenu Président des Etats-Unis : "Reagan ? L'acteur ?" Le fait est qu'en 1984 un bon mot de "Ronnie", diffusé lors d'un test sonore au préalable d'un discours, fut jugé assez inquiétant par l'Union Soviétique pour que l'état d'alerte de guerre imminente soit proclamé pendant une demi-heure. Force est de constater que le microphone, de nos jours, n'est plus nécessaire quand il s'agit de commettre une gaffe aux dimensions internationales : il suffit d'un compte Twitter.
Au-delà de la performance uchronique d'un Président que dans Le Printemps russe Norman Spinrad présentait comme un faire-valoir pour chimpanzé, A Colder War mêle avec talent l'horreur cosmique - à la dimension des temps géologiques ! - et les temps incertains de la guerre froide finissante. La première moitié des années 1980, quelque part entre la fin du début de la soi-disant "révolution conservatrice" et le début de la fin de la "guerre sale" où tombèrent une par une les démocraties d'Amérique Centrale et du Sud, empeste les mauvais coups de billards à quinze bandes, ceux dont les enjeux contredisent les faides officielles et où l'ennemi déclaré peut se révéler, à l'occasion d'une convergence ponctuelle d'intérêts, un allié des plus solides. C'est en effet avec intelligence que Charles Stross capture l'ambiance pas si tranquille d'une époque un peu malsaine, où le monde a vécu sur le fil du rasoir, où chacun savait - parfois d'une façon confuse - qu'à la faveur d'une incompréhension au plus haut niveau l'apocalypse pouvait survenir au beau milieu d'une journée de travail tout à fait normale par ailleurs. A ceci près que, horreur cosmique oblige, ce qui bouche l'avenir des personnages c'est ni plus ni moins que l'intervention d'entités quasi-divines - pour qui l'être humain est trop insignifiant pour mériter sa place dans l'Univers.
Uchronique, et ne pouvant donc pas s'insérer dans l'Univers de la Laverie, A Colder War est une nouvelle fascinante car elle peut se lire de plusieurs façons : pas d'humour ici - pas même de cette variété noire dont Stross use volontiers par ailleurs - mais plutôt une décomposition clinique d'un glissement fatal de l'ordinaire vers l'apocalyptique ; pas de héros - fussent-ils dysfonctionnels ! - mais en réalité de simples types incapables de comprendre que certaines questions surpassent pour de bon l'intellect humain... Trop ordinaires pour mériter une fin du monde, les personnages de A Colder War ? Peut-être. Mais pour un univers aussi vaste que le nôtre, la fin du monde humain a-t-elle la moindre signification ?
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