Alix Senator tome 6 : La Montagne des Morts
Nouvelle livraison de la série Alix Senator que je suis depuis quelques années...
Résumé :
Si le corps de Khephren a cicatrisé, son esprit est toujours tourmenté par les conséquences de sa castration... Et le voici à présent aux côtés d'Alix, à nouveau en Egypte, à la poursuite d'une nouvelle chimère. Tandis qu'à Rome Auguste fait un autodafé des livres sibyllins sous les yeux horrifiés de Titus, voici qu'Alix et Khephren, rejoints par Enak, partent sur les pas d'Alexandre le Grand. Pour Alix, il s'agit d'apporter une offrande impériale à Zeus-Ammon ; pour Enak, il s'agit de tenter un rapprochement avec son fils ; et pour Khephren lui-même, il s'agit de mettre la main sur une statue de Cybèle en orichalque à laquelle on prête d'étranges pouvoirs. L'ubris du jeune homme ne risque-t-il pas d'augmenter encore les tourments d'Alix ?
Avec le précédent épisode, les auteurs de cette séquelle des Aventures d'Alix historiques (si j'ose dire) n'hésitaient pas à frapper l'intrépide gaulois naturalisé romain dans ce qu'il avait de plus cher : son fils qui, bien qu'adoptif, semblait promis à un avenir brillant. Khephren était déjà bouillant : devenu eunuque, le voici porté à la déraison et rêvant d'un destin plus brillant que celui d'Alexandre lui-même. L'Egypte, pour les Romains dont Alix et Khephren ont reçu la culture en partage, représente une civilisation déjà très ancienne car vieille de trois mille ans : ses origines leur sont plus éloignées encore que l'époque d'Auguste ne l'est pour nous ! Il s'agit d'une culture qui a subi maintes invasions et plusieurs métissages, sans jamais oublier tout à fait son propre substrat : c'est un pays du désert, où le sable - aride et stérile - préserve la chair des morts pendant des siècles ; c'est aussi un pays d'eau et de végétation - sur les rives du Nil ou dans ses oasis - qui perpétue ses propres traditions. Si le pouvoir de Rome s'exerce désormais sans partage sur les villes depuis l'élimination de Marc Antoine et des ultimes surgeons de la dynastie gréco-macédonienne des Ptolémées, on trouve aux marges de la civilisation urbaine des nomades qui ne renoncent pas à leur propre récit national. Pris dans cet écheveau de rancunes dont certaines sont séculaires, et auxquelles se superposent les intérêts conflictuels des factions romaines, Alix et ses amis ont presque tout à perdre - à commencer par leurs vies.
Dans Alix Senator, le héros intrépide a cessé d'être un adolescent : il est désormais âgé, toujours combatif mais de plus en plus las, et de plus en plus atterré par la médiocrité du monde qui l'entoure. S'il était habitué à jouer le jeu de César, le voici trente ans plus tard devenu l'exécuteur d'Auguste : là où l'oncle expliquait volontiers les tenants et aboutissants des intrigues de la fin de la République, le neveu se montre plus dissimulateur et ne dit rien - ou presque - des flux du pouvoir en ce début de Principat. Il est tentant d'imaginer que la fatigue d'Alix provient en partie au moins de ce travail à l'aveugle qui lui est imposé, puisqu'il n'est jamais sage de refuser quelque chose à un Empereur. Enak, presque aussi âgé qu'Alix, a choisi de vivre aux marges du monde afin d'échapper peut-être au pouvoir terrifiant d'Auguste : existe-t-il une troisième voie, quelque part entre la docilité servile et l'anachorèse ? C'est ce que cherche à découvrir Khephren qui, dans sa quête pour donner un sens à sa vie, est prêt à tout et n'importe quoi... Y a-t-il une autre solution ? L'absence presque totale de Titus - lequel, à Rome, semble adopter la même attitude que son père - semble indiquer que non, et l'on comprend dès lors d'autant mieux pourquoi les héros sont fatigués d'eux-mêmes et de leur époque. L'Antiquité n'est plus ce qu'elle était : avec la fin de la République, les cyniques l'ont emporté, gagnant le droit de définir le destin du monde romain jusqu'à son basculement définitif, un millénaire et demi plus tard.
Equilibrant donc à la perfection l'intrigue de fiction avec des considérations historiques fascinantes, cet album se révèle passionnant à lire et très bien réussi. Bravo !
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