Le sphincter de l'oesophage
Le quatrième texte de l'Anthologie officielle des Utopiales 2017 est signé d'un auteur qui m'était jusqu'à aujourd'hui tout à fait inconnu, en l'occurrence Nabil Ouali ; ce texte intrigue dès son titre lequel est, pour le moins... surprenant.
Résumé :
Dans un futur proche, Merlo est un jeune homme que son père emmène participer à une soirée entre amis de sa génération : des hommes d'un certain âge, qui ont eu jadis des idées de progrès mais qui - peut-être sans en avoir conscience - gardent quelques réflexes intellectuels de type conservateur. La France est gouvernée depuis six ans par un parti féministe qui fait avancer avec détermination les droits des femmes, quitte à bousculer beaucoup de vieilles habitudes... et Merlo, homme féministe, aura fort à faire pour faire entendre la voix de la raison aux amis de son père !
Je dois avouer qu'à son commencement cette nouvelle m'a tout d'abord beaucoup déplu, avec son portrait d'une jeunesse urbaine future qui aime bien être connectée, manger, socialiser, mais surtout moucher les vieux cons. Cette jeunesse-là existe déjà de nos jours : ce sont ces gens de ma génération qui, passant avec audace et impertinence du food-porn aux vidéos de chatons par l'intermédiaire de l'ironico-philosophie, rendent nos timelines sociales insupportables à coups de "Hiiiih !", d'omnicompétence et de discours péremptoires. De ces fatigants spécimens d'humanité à Merlo, il n'y a qu'un pas et l'on comprend vite que ce narrateur exaspérant - il n'est pas certain que ce soit fait exprès - n'est jamais qu'un représentant ordinaire de la prochaine génération des têtes à claques. Face à lui, les vieux cons sus-cités font ce que font tous les bons vieux cons depuis que le monde est monde : ils ressassent. Voici donc le schéma de cette histoire : ce n'est ni plus ni moins qu'un conflit de générations qui est raconté ici, du genre de ceux qui, au coin du feu, devaient déjà opposer la jeunesse Homo erectus à ses propres vieux cons...
A la différence toutefois de la plupart des conflits de génération, celui qui oppose Merlo et les vieux cons du moment n'oppose pas des croyances entre elles mais oppose plutôt des croyances à des faits appuyés par les statistiques. Les faits sont têtus : même si les formes du discours de Merlo sont horripilantes - c'est souvent le cas chez les militants y compris lorsqu'ils sont du même bord que vous - son fond s'appuie sur des réalités qui ne peuvent être contredites. Suffisent-elles à l'efficacité de la démonstration ? Rien n'est moins sûr - mais il est vrai que l'auteur a distribué à Merlo des cartes inattendues. Ainsi, le titre de la nouvelle prendra-t-il tout son sens : le cardia est le sphincter qui contrôle la transition des aliments de l’œsophage à l'estomac, mais aussi celui qui empêche le reflux du bol alimentaire depuis l'estomac vers l’œsophage... et ce choix d'un titre ambigu contribue bel et bien à semer l'indécision dans l'esprit du lecteur jusqu'à la chute. Celle-ci, fort bien amenée, vient éclairer a posteriori l'ensemble de la nouvelle : belle efficacité !
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