Le dernier bleuet
Danielle Martinigol est une grande dame de la SF française, dont les romans à destination du jeune public m'ont le plus souvent convaincu : je considère qu'ils constituent de bonnes portes d'entrée vers les mondes imaginaires. Dans le cadre d'une série intitulée Projet Kaïros, Danielle Martinigol s'est alliée à Isabelle Fournié pour écrire une histoire de voyage temporel insérée dans un passé pas trop lointain : celui de la première guerre mondiale...
Résumé :
Zélie, Zak et Tom sont cousins. Ils vivent au XXIème siècle et s'apprêtent à visiter le Mémorial de la Grande Guerre, à Verdun. Cent ans plus tôt, un de leurs ancêtres a participé au premier conflit mondial et cette histoire familiale chargée pèse encore sur eux... Depuis le futur, un Zak plus âgé leur envoie une machine temporelle nommée Kaïros qui bien qu'un peu détraquée les transporte jusqu'en 1914, le jour même de la mobilisation générale. Sur place, ils rencontrent un garçon nommé Léon qui leur sera d'une aide précieuse dans leur quête : Kaïros veut qu'ils trouvent leur ancêtre afin de lui remettre un bleuet en papier. Parviendront-ils à échapper aux dangers d'une guerre sans merci et à revenir à leur époque ?
Le bleuet fut - je l'ignorais - le symbole des poilus, dont l'uniforme devint bleu horizon après 1915 : semble-t-il que cette fleur est l'une des seules qui parvenait à pousser sur les champs stérilisés par les pluies d'obus, et c'est à ce symbole que l'association le Bleuet de France doit son nom. Dans cette histoire, le bleuet symbolise aussi la quête que les jeunes personnages vont devoir accomplir en traversant différents champs de bataille de la Grande Guerre : l'un d'entre eux possède une enveloppe qui contient, outre une lettre vierge au premier abord, un exemplaire de ce même bleuet de papier que les blessés de guerre confectionnaient aux Invalides. Transportant cet objet de 1914 jusqu'à 1918, les trois voyageurs du futur rappellent ainsi au lecteur qu'ils ont dans leurs têtes ce que nul ne sait encore, c'est-à-dire le savoir d'un conflit que nul n'aurait pu croire si long à son commencement. Il est difficile pour le voyageur du temps de ne pas trahir sa connaissance et, de ce fait, modifier la trame même de l'Histoire telle qu'il la connaît...
Sans donc s'aventurer jusqu'à faire jouer les personnages avec les dangers du paradoxe temporel - c'eût été peut-être un peu trop audacieux pour un roman à tel point destiné au jeune public - Le dernier bleuet constitue un support intéressant pour éveiller une première réflexion quant à l'énigme du temps. Si le voyageur temporel ne se rencontre pas lui-même dans cette histoire, il n'en reste pas moins que Zak - en 2018 - sait qu'il sera toujours vivant et inventeur d'une machine temporelle en 2078 : voyager dans le temps, c'est donc s'emprisonner soi-même dans un destin tout tracé... L'autre volet de ce roman, c'est bien sûr la découverte historique : le monde, en 1914, était fort différent du nôtre - mais la guerre était à l'époque déjà cruelle, coûteuse et sale à tous points de vue... et les jeunes protagonistes sont sans doute loin, au sortir de cette aventure, d'être aussi confondus face à la "beauté" d'un lance-flammes allemand qu'ils ne l'étaient au moment de leur entrée au Mémorial de Verdun. L'ensemble de ces qualités fait du Dernier bleuet un bon roman jeune public pour qui aimerait faire s'intéresser à l'Histoire un enfant mordu de SF... ou à l'inverse, pour qui aimerait faire s'intéresser à la SF un enfant mordu d'Histoire !
Commentaires