Retour sur Titan
Stephen Baxter est de nos jours l'un des maîtres de la hard-science même s'il est loin de se cantonner à ce genre-là : au fil des années, j'en suis venu à le considérer comme un héritier littéraire d'Arthur C. Clarke, c'est-à-dire un auteur sachant marier à loisir le sense of wonder à l'exigence de contenu scientifique... Ce Retour sur Titan allait-il confirmer mon impression ?
Résumé :
Jovik Emry est un "gardien de la sentience" : il est chargé de vérifier si les activités humaines en perpétuelle augmentation dans le système solaire externe sont respectueuses d'éventuelles formes de vie sentientes que l'on trouverait sur les lunes des planètes gazeuses et en particulier sur Titan... Aussi, quand il se réveille à bord d'un vaisseau GUT affrété par la famille Poole - des entrepreneurs richissimes du quatrième millénaire qui ont semé d'innombrables trous de ver partout dans le système solaire - il flaire aussitôt l'entourloupe. Suite à un chantage, le voici malgré lui embarqué dans une mission illégale d'évaluation de Titan, dont l'exploitation assurerait aux Poole des profits à même de rendre possible un nouveau projet dantesque... à condition que la lune de Saturne soit dépourvue de toute forme de sentience ! Emry sortira-t-il vivant de l'écheveau de mystères qu'ils trouveront sur Titan ?
Des entrepreneurs peu scrupuleux (pléonasme ?), un chantage, un crash, un road-movie extraterrestre en biochimie étrangère, un mort, trois biosphères a priori incompatibles mais malgré tout interdépendantes... et une énigme plus vieille que l'humanité dont l'une des clés, peut-être, se trouve au fond du manteau de Titan, une lune mystérieuse plus grande que Mercure et dont l'environnement bénéficie de caractéristiques planétologiques très différentes de celles que l'on connaît sur Terre. Titan est encore assez mal connue, et ce que l'on en sait est assez original pour laisser beaucoup de place à l'imagination : dans les années 70 déjà, Joan D. Vinge remportait un Hugo pour sa nouvelle Les yeux d'ambre qu'elle lui avait consacrée !
Baxter propose quant à lui une intrigue beaucoup plus humaine : si l'intelligence extraterrestre est en question dès les premiers développements de ce court roman, elle ne l'est d'une façon décisive qu'à la toute fin et c'est le regard des personnages humains qui est mis en avant ici. Ceux-ci sont peu nombreux - le temps fictionnel ne permettrait pas le contraire - mais ils sont bien caractérisés, chacun jouant un rôle très bien défini si bien que cet équipage finit par représenter un échantillon de l'humanité dans ce qu'elle a de plus divers : curieuse de son environnement, prête à formuler des hypothèses audacieuses, déterminée à trouver quelque intérêt à ses découvertes et capable enfin de détruire ce qui lui semble pouvoir remettre en cause ce qui lui importe... Au quatrième millénaire, l'humanité de Baxter est donc très similaire à la nôtre, malgré les jouets technologiques dont elle fait un usage illimité.
Le véritable personnage original de cette histoire, c'est bien entendu l'environnement de Titan tel que Baxter l'extrapole : un environnement extrême et pourtant riche de vie(s), où la coopération symbiotique se révèle indispensable. Un environnement étranger produisant des êtres vivants différents mais dont les fonctions et les formes sont convergentes avec ce que l'on observe sur Terre : trois biochimies distinctes dont les voies métaboliques présentent des interconnexions nécessaires, si bien que Titan sous la plume de Baxter apparaît comme un monde où la matière circule en cycles, et où les êtres vivants brassent les éléments chimiques entre profondeur et surface, et peut-être même vers l'espace ou des mondes lointains... L'image est belle, tout aussi saisissante que la description que Clarke faisait d'Europe dans son 2010 ; et elle fascine encore par la rigueur avec laquelle Baxter s'acharne à construire un modèle cohérent. C'est donc avec talent que l'auteur parvient, une fois de plus, à réaliser une alliance très solide entre sense of wonder et hard-science : bravo !
Ne manquez pas non plus l'avis de Yogo !
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Commentaires
Cela m'a réconcilié avec Baxter et le cycle des Xeelees. J'avais que moyennement apprécié Gravité.